La recherche du sein à la naissance est un processus génétiquement programmé. Cela assure la survie de l’espèce humaine. Tout le monde sent bien cette idée au fond de ses tripes et de son bon sens. Et pourtant, quelques bébés arrivent à ma consultation entre 6 et 15 jours sans avoir jamais tété, malgré de nombreuses tentatives à la maternité. C’est une situation profondément blessante pour les mères, qui y vivent des émotions très douloureuses : « j’ai l’impression que mon bébé ne m’aime pas », « j’avais tout imaginé, manquer de lait, avoir mal, mais je ne savais pas qu’il était possible qu’un bébé ne tète pas », « peut-être qu’il a choisi de ne pas téter et qu’il faut que je le respecte », « j’ai l’impression de le forcer »…
Ce sentiment qu’il se passe quelque chose de contre nature réveille aussi des fantasmes très violents dans les équipes. « Peut-être qu’il sent que sa mère ne veut pas » est le plus fréquent. Les mères en général le perçoivent très bien et ressentent très violemment cette suspicion sur leur inconscient ou leur motivation qui y cherche une cause du refus de téter du bébé. Surtout que cela s’assortit assez souvent de la visite d’une psychologue qui peut poser des questions sur son désir d’allaiter ou son histoire maternelle… Cela peut devenir d’autant plus violent pour elle, et prendre quasiment valeur de vérité, qu’un bébé qui ne tète pas réveille chez elle souvent, au moins par moments, du rejet, de la colère. Cette situation éclaire vraiment la notion de spirale interactive. Et l’équipe peut y prendre une place aggravante.
Mais au fond, pourquoi un bébé de quelques heures ou jours ne tète-t-il pas ? Dans la plupart des cas, cela reste un peu un mystère. Quelle que soit notre vision romantique du biologique et de l’instinctif, il peut y avoir des ratés. Un réflexe peut être immature isolément chez un bébé, une morphologie de la bouche le mettre en difficulté, etc.
Mais il me semble que le plus fréquent est que ce soit un refus réactionnel à des violences dans cette sphère orale. Il peut s’agir d’aspirations un peu traumatiques en salle de naissance. Mais plus fréquemment sont retrouvées dans l’histoire de la mère et du bébé des mises au sein trop violentes par l’équipe soignante. D’autant que moins le bébé arrive à téter, plus les mises au sein peuvent être brutales. « Aucun bébé ne me résiste, vous allez voir », disait une soignante à propos d’un bébé qui ne tétait pas, poussant sa tête sur le sein. Mais souvent ce non-respect du rythme du bébé, cette violence, sont aussi une réponse du soignant à l’anxiété que réveille, chez lui aussi, un bébé qui refuse de téter. Au fond, c’est insupportable. Et chacun veut que ça se résolve très vite.
Quand le bébé arrive en consultation, le tact et une infinie patience sont donc nécessaires. Il existe un premier temps où l’enjeu nutritionnel doit être évacué. Seul le contact en phase d’éveil calme peut permettre au bébé de redécouvrir un sein non hostile. Quand le bébé accepte le sein dans la bouche même sans rien en faire, mais sans hurler, un véritable premier pas est franchi. Il est préférable au début que le bébé n’ait pas faim, sinon son impatience et sa difficulté à comprendre comment la succion fonctionne le transformeront trop vite en petit hurleur. Toutefois, il est essentiel de prendre le temps de faire comprendre aux parents, et à la mère en particulier, que ces hurlements sont le signe de sa difficulté et non un refus de son sein et donc d’elle-même. Il a perdu le chemin du sein. Ou, pire encore, le sein s’est inscrit dans un conditionnement négatif face à ces « forçages » répétés et violents pendant plusieurs jours. Il peut même s’avérer nécessaire de faire une pause d’une journée ou deux, sans plus aucune tentative.
En apesanteur et hors du temps, voilà l’atmo-sphère de la consultation pour panser les plaies des uns et des autres. Cela peut donc prendre beaucoup de temps. C’est le motif de consultation le plus long, entre une et parfois plusieurs heures, voire parfois plusieurs consultations. Il est important que les parents sachent qu’il faut parfois essayer « tranquillement » sur trois, voire quatre à cinq consultations avant que le bébé tète. Pas de pression de résultat. Il arrive que ce soient les parents à la maison, dans une séance de contact peau à peau et présentation du sein, sans rien faire, qui débloquent la situation.
Mais l’émotion des mères, quand enfin le bébé retrouve le chemin du sein, fait partie de mes souvenirs professionnels les plus forts. Et il est toujours étonnant de voir comment, dès que le bébé comprend enfin comment le sein marche, parfois à la deuxième consultation, parfois à 1 mois de vie, combien la vie reprend son cours comme s’il avait toujours su téter.
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