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La rencontre entre le monde de l’école et le monde de la maison est parfois difficile. Il peut y avoir des raidissements de part et d’autre, des incompréhensions, une relation de méfiance, une histoire personnelle difficile avec l’école, la peur d’être jugé, de ne pas pouvoir être compris, ni comprendre.
24 nov. 2022
Nathalie Griffon et Sylvie Voisin
Temps de lecture : 3 min

Nous nous sommes demandé comment passer outre les a priori, ouvrir les murs, faire que la rencontre soit possible, et positive pour tous. C’est donc l’histoire d’une aventure, qui s’est déroulée sur l’année scolaire 2014-2015, dans une classe de petite et moyenne section, dans un quartier de Limoges, La Bastide, situé en zone rep+ [2]. Elle a fait l’objet d’un film. « Ouvrir l’école sur les langues, les mondes, aux parents, ça fait du bien aux enfants et aux adultes, aux parents et aux enseignants et ça rend l’école plus gaie et meilleure. » C’est en ces termes que le professeure Marie Rose Moro a présenté ce projet [3]. Nous allons vous le conter comme une recette « métissable », et surtout pas immuable.

Chacun était invité à entrer dans la classe, à s’inscrire sur le planning, pour ces petits moments de rencontres, le vendredi matin, autour d’un café, un thé, afin de mieux se connaître et de prolonger les échanges avec les enfants. Ainsi, des mamans sont venues, parfois avec leur bébé, des papas, un grand-père, et puis certains sont revenus. Tous les parents ont participé à ces moments [4].

Notre intention était de :

     – donner la place à toutes les langues, prendre en compte les langues parlées ou comprises à la maison, la ou les langues des grands-parents, souvent restés aux pays ;

     – faire le tour des pays, villes, villages d’origine, les situer sur la carte, sur le globe, mettre une gommette, écrire les noms ;

     – laisser les mondes se mélanger, les mots se métisser, les écritures, les musiques et les histoires se raconter. Les mots des uns ont été utilisés par d’autres ; nous avons chanté dans plusieurs langues ;

     – écouter l’autre parler de sa singularité, ce qui donne envie de parler de la sienne ;

     – évoquer la signification des prénoms, apporter quelque chose de là-bas ou d’ici, dans un esprit d’altérité, de partage, d’échanges de savoirs, et de plaisirs partagés entre tous, enfants, parents, intervenant, enseignant, personnel de l’école, en toute confiance ;

     – valoriser les savoirs familiaux pour permettre la transmission et la construction d’une alliance.

Ainsi, nous avons fait de telle sorte que chacun se sente à l’aise dans l’antre de l’école, sans programme établi au départ. Nous nous sommes laissé porter par ces rencontres étonnantes pour accepter le savoir de l’autre, qu’il nous surprenne et nous enrichisse. Nous donnions légitimité à la famille.

Progressivement la vie scolaire a changé.

Des parents se sont de plus en plus impliqués dans la vie de la classe pour accompagner lors des sorties. Certains se sont inscrits à la bibliothèque du quartier. Petit à petit, les mamans sont venues de plus en plus belles, plus élégantes, plus souriantes, parfois à la grande surprise des autres enseignants de l’école. On pouvait voir la fierté des enfants et de tous les adultes d’être là. Des enfants presque mutiques à l’école se sont mis à parler. Il régnait dans la classe une sorte de vent de liberté, mais aussi une certaine complicité entre les enfants, entre les enfants et leurs parents présents, entre les parents et l’enseignante, entre les parents. Les dessins des enfants sont devenus de plus en plus riches.

Les parents nous ont surpris : ils se sont montrés désireux d’entrer dans la langue de l’école, demandant à l’enseignante si elle pouvait leur apprendre à écrire et à lire le français. La rentrée suivante, une maman a été élue déléguée des parents et a proposé de faire la médiation pour un enfant en difficulté. Elle fut très émue de savoir qu’on allait voter pour elle.

L’école est aujourd’hui vécue comme lieu de ressource et de médiation entre les services de pmi, de l’hôpital, pour informer, expliquer ce qui n’avait pas été compris ailleurs.

Nous pouvons conclure que ces petits moments ont permis aux parents de vivre un moment privilégié et de complicité avec leur enfant ; il y avait un réel intérêt pour les récits, les mots, les objets des autres.

Ainsi, nous pouvons affirmer que :

     – On peut s’enrichir ensemble, loin de toute idée de communautarisme.

     – Il est possible que des enfants viennent avec plaisir à l’école, avec des parents impliqués et respectueux ; la fierté des uns rebondit sur celle des autres.

     – La classe et l’école peuvent se métisser en prenant en compte la singularité, la dignité et la légitimité de chacun, qu’elle peut être le lieu d’un vivre ensemble.

     – Une telle action peut prévenir contre l’échec ou le décrochage scolaire.

     – Laisser la possibilité au « je » de devenir « nous » participe à la notion même de laïcité.

Enfin, la diversité culturelle, linguistique, sociale est une chance et une richesse pour tous.

Nous avons ainsi fait nôtre la devise : « Faire le détour de l’ailleurs permet de mieux comprendre l’ici, et s’ouvrir à la singularité de chacun et au bénéfice de tous [5]. »

 

Notes

  • [1]

    Nadine Griffon est enseignante, nadine.griffon@orange.fr. Sylvie Voisin est éducatrice spécialisée, intervenante bénévole, diu psychiatrie et compétences transculturelles, sylvie.voisin87@gmail.com.

  • [2]

    Réseaux d’éducation prioritaire.

  • [3]

    Le film s’intitule Petites et grandes rencontres avec les parents, visible sur YouTube.

  • [4]

    Des photos et un film ont été réalisés et montrés aux parents en fin d’année scolaire, chacun est reparti avec le dvd.

  • [5]

    M. R. Moro, « Refuser cette peur de l’autre qui infiltre les cours d’école comme elle habite le champ social », Reliance, n° 27, 2008, p. 18-22.

 

Photo de Mehmet Turgut Kirkgoz : https://www.pexels.com/fr-fr/photo/maisons-maison-porte-portrait-11359619/

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