À l’heure actuelle, les nourrissons et les tout-petits vivent dans un environnement empli de médias de toutes sortes. Depuis le début de leur vie, ils grandissent généralement en présence des technologies numériques de l’information et de la communication (tnic) ou, plus couramment, face aux écrans (Huerre & Vlachopoulou, 2015).
En France comme aux États-Unis, des recommandations ont vu le jour afin de sensibiliser les parents à cette exposition en fonction de l’âge des enfants. En France, en 2008, suite aux travaux du groupe d’experts sur l’impact des chaînes télévisées sur le tout-petit enfant, l’avis de la Direction générale de la santé a émis des préconisations en ce qui concerne les limites temporelles que devraient fixer les parents. Serge Tisseron (2009) préconise la règle des « 3-6-9-12 », avançant l’idée que les écrans sont à proscrire avant l’âge de 3 ans. L’Académie américaine de pédiatrie (American Academy of Pediatrics, 2011), en se centrant sur les périodes développementales distinguées en psychologie cognitive, mentionne que cette exposition est à bannir pour les bébés de moins de 2 ans.
« Avant même de marcher, le bébé regarde la télévision, blotti dans les bras de sa mère. Il est attiré par cette boîte de lumière et de sons et, dès qu’il sait ramper, il se déplace vers elle » (Bourcier, 2010, p. 19).
Un sondage nationalement représentatif auprès de parents d’enfants âgés de 0 à 8 ans aux États-Unis (Rideout, 2013) a été mené afin d’analyser les différents modes d’utilisation des médias chez les jeunes enfants. Cette enquête a révélé que les bébés de moins de 2 ans ont une exposition quotidienne moyenne de cinquante-huit minutes aux médias, et que les tout-petits de 2-4 ans y ont une exposition moyenne d’une heure et cinquante-huit minutes. Bien que la télévision soit le médium le plus usité par les tout-petits, d’autant plus que 16% des bébés de moins de 2 ans disposent d’un téléviseur dans leur chambre et qu’ils sont 37% à 2-4 ans, 38% des bébés de moins de 2 ans utilisent les écrans mobiles et tactiles, et ce pourcentage passe à 80% chez les enfants âgés de 2 à 4 ans. De plus, tout type de médias confondus, pour les tout-petits, cette exposition est plus importante lorsque les mères ont un faible niveau d’éducation et dans les familles avec un faible statut socio-économique.
Beaucoup d’enfants, même très jeunes, sont si familiers des médias numériques qu’ils sont capables d’allumer eux-mêmes la télévision (38% des enfants âgés de 6 à 23 mois et 82% entre 2 et 3 ans), de changer de chaîne avec la télécommande (40% à 6-23 mois et 54% à 2-3 ans), et même de positionner un dvd dans le lecteur afin de le visionner (7% à 6-23 mois et 42% à 2-3 ans). Cette familiarité leur procure un certain degré d’autonomie par rapport aux médias (Rideout, Hamel, 2006).
« Avant même de marcher, le bébé regarde la télévision, blotti dans les bras de sa mère. Il est attiré par cette boîte de lumière et de sons et, dès qu’il sait ramper, il se déplace vers elle. » S. Bourcier
6 Dans de nombreux foyers avec enfants, la télévision est, la plupart du temps, voire tout le temps allumée, que quelqu’un la regarde ou non. Il faut donc également prendre en compte cette exposition de « fond » que le tout jeune enfant pourra voir et/ou entendre même s’il ne la regarde pas activement. Une étude récente a fait état d’une exposition globale à la télévision d’une durée moyenne de cinq heures et demie par jour, chez les bébés âgés de 8 à 24 mois (Lapierre, Piotrowski, Linebarger, 2012).
Les individus ont toujours été influencés par les médias qu’ils utilisent et consomment, et bien souvent, les effets engendrés sont globalement perçus comme négatifs pour et sur les personnes. D’une façon générale, la technologie a toujours suscité de l’inquiétude, tout particulièrement en ce qui concerne son adoption par les plus jeunes (Berdot-Talmier, Zaouche Gaudron, 2017). Aussi, avant même de s’intéresser aux effets positifs pour ces très jeunes enfants, compte tenu du nombre de médias à disposition, le débat, en partie influencé par la « panique morale », tend à considérer l’impact négatif de cette technologie pour les bébés.
La réponse implique les transformations remarquables qui seront observées au niveau du développement cérébral durant les trois premières années de vie. Du fait de la plasticité cérébrale, des modifications vont se produire, en réponse directe aux stimulations externes, faisant des premières expériences de vie des éléments essentiels aux trajectoires développementales (Bach et coll., 2013).
Durant les six premiers mois de vie, le bébé va être captivé par les couleurs, le flux d’images bidimensionnelles et de sons provenant de la télévision, mais il n’a pas encore la capacité de traiter correctement ce qu’il regarde ou de maintenir son attention sur une longue période. Plus tard, au cours de la première année et au-delà, au regard du développement cognitif et perceptif, le tout-petit sera en mesure de reconnaître les personnages et les objets sur l’écran.
Bien qu’à la naissance le cerveau des tout-petits ne soit pas « câblé » pour comprendre ce qu’il voit sur les écrans, il est néanmoins bien équipé pour comprendre les interactions sociales.
Les experts (American Academy of Pediatrics, 2011) s’accordent pour signaler que les écrans vont impacter le développement des tout-petits par divers aspects.
La présence de la télévision va entraîner une réduction tant qualitative que quantitative dans les interactions parent-bébé. Ce déclin dans les interactions se conçoit à la fois en termes de diminution dans les communications et les échanges, ainsi que dans un moindre engagement des parents auprès de leurs bébés, ce qui pourra avoir des répercussions sur le développement de l’enfant. Ce constat renvoie à l’hypothèse selon laquelle la télévision peut distraire les parents ou interférer sur leurs capacités à répondre de façon adéquate au bébé.
La présence de la télévision va également venir affecter les activités de jeux du tout-petit, pourtant essentielles à son développement. En effet, le jeu, le dessin, le coloriage et l’exploration sont des activités qui permettent aux bébés et aux tout-petits d’aiguiser leurs capacités cognitives, socio-émotionnelles et leurs habiletés motrices, mais les distractions fréquentes, causées par la télévision en arrière-fond, peuvent entraver ces processus. Avec une télévision allumée, les jeunes enfants seront moins en capacité de se concentrer sur le jeu actif. Cette exposition aux écrans va également avoir un impact sur les parents, alors même que le jeu leur offre la possibilité de s’engager pleinement dans l’activité avec l’enfant, que ce soit en termes de participation active ou par l’accompagnement verbal.
Selon Lurçat, « l’association du langage et des activités de l’enfant est nécessaire, non seulement pour son développement harmonieux, mais également pour l’acquisition du langage descriptif, car le langage fait corps avec l’activité, il en est un aspect important » (cité dans Bourcier, 2010, p. 98). Ceci est d’autant plus préjudiciable que la croissance du vocabulaire des tout-petits est directement liée au temps d’interactions verbales que les parents vont partager avec le bébé.
Cette exposition à la télévision va également avoir un impact négatif sur le développement cognitif et langagier du tout-petit. Une étude (Chonchaiya, Pruksananonda, 2008) a pu mettre en évidence que
les bébés exposés à deux heures ou plus de télévision par jour avant l’âge de 12 mois étaient six fois plus susceptibles de développer un retard de langage, comparativement aux tout-petits qui ont commencé à regarder la télévision après leur première année. De plus, le développement linguistique des tout-petits peut être affecté du fait qu’ils vont passer plus de temps à écouter la télévision, ce qui est un langage réceptif, plutôt que de s’engager activement dans un langage productif dirigé vers autrui.
Au-delà de ces aspects négatifs, reconnaissons que la télévision peut aussi avoir un impact positif dans la vie des tout-petits. Bien que les bébés ne perçoivent pas ce média de la même façon que les adultes, petit à petit, avec le développement cognitif, ils vont progressivement accroître leurs habiletés télévisuelles. Bien que la compréhension de la télévision soit minimale chez le nourrisson et que son attention soit purement réactive, à mesure qu’il grandit, la visualisation de programmes éducatifs ou récréatifs qui lui sont spécifiquement dédiés peut lui rendre ceux-ci compréhensibles et refléter un traitement cognitif plus mature. Ces programmes vont encourager une participation active des tout-petits, avec des personnages qui vont directement s’adresser à eux et où les jeunes enfants vont alors pouvoir chanter, danser, imiter les comportements du personnage, pointer des objets, le tout avec enthousiasme (Lemish, 2007). Les parents confirment que les enfants sont activement impliqués et que le développement linguistique est, par certains aspects, directement en lien avec la télévision (Marsh et coll., 2005). Les enfants d’âge préscolaire vont être en capacité d’utiliser des mots, d’écouter des histoires ou des chansons en s’impliquant activement dans le refrain, par exemple, d’écouter et d’utiliser le langage parlé, de maintenir une écoute attentive et réactive, tout comme ils vont au fur et à mesure de leur construction être en capacité de comprendre les valeurs et les codes de conduites socialement attendues. Le temps passé devant la télévision peut également être un moment de partage et d’échange au sein de la cellule familiale. Des programmes diversifiés et adaptés à l’âge des enfants, tels que des documentaires ou des programmes culturels, peuvent les aider à se créer une image du monde, à découvrir les arts, etc.
Étant donné les caractéristiques uniques des technologies mobiles, c’est-à-dire leur portabilité et leur interactivité, il est important de se questionner sur l’impact de ces technologies sur le développement du tout-petit. En effet, pour l’instant, avec le manque de données sur ce sujet, nous pouvons supposer que l’utilisation de ces technologies comme moyen passif de visionner des vidéos montrera des effets similaires chez les tout-petits enfants en développement. Bien souvent, en raison de cette portabilité, les parents utilisent les médias mobiles et tactiles comme outil de régulation comportementale afin de maintenir les tout-petits à la fois apaisés et occupés durant les activités et routines quotidiennes (Tisseron, 2009). Bien que ces dispositifs mobiles puissent être utiles à court terme pour occuper les enfants, une surexploitation de ces outils à cette fin pourrait être préjudiciable sur le développement socio-émotionnel ultérieur.
« Il n’est pas question de faire de ces supports des baby-sitters, au risque d’enfermer le petit enfant dans un mode de relation d’objet problématique » (Huerre, Vlachopoulo, 2015, p. 16). Les parents ont un rôle essentiel à jouer dans la qualité et la quantité d’expériences que les enfants vont vivre avec ces outils.
Toutefois, les médias mobiles et tactiles diffèrent considérablement de la télévision. En effet, contrairement à la télévision où le jeune enfant pourrait, par moments, être passif ou être considéré comme tel, et donc exposé au contenu, les technologies mobiles vont lui permettre d’être en interaction avec l’outil. De par cette fonction tactile, ils éliminent la nécessité d’avoir des périphériques externes, tels clavier ou souris, qui nécessitent un certain niveau de savoir-faire. De nombreuses applications sont disponibles pour les jeunes enfants avec une conception intuitive qui peuvent être bénéfiques pour le développement sensori-moteur des tout-petits (Bach et coll., 2013). Les bébés développent leur connaissance perceptuelle du monde qui les entoure en interagissant avec les autres, les jouets et les différents objets disponibles dans leur environnement. Avec la maturation et à travers les multiples modalités sensorielles, ils vont petit à petit coordonner les informations reçues. Il est donc crucial que des recherches se développent afin de mesurer précisément les impacts des interactions régulières avec ces interfaces, au cours de cette phase développementale particulièrement critique pour le développement.
L’utilisation de la télévision semble associée, pour certains, à un déplacement d’activités et d’interactions essentielles pour un développement harmonieux du tout-petit, alors que pour d’autres, elle semble être une source d’apprentissage et de partage. Concernant l’interactivité des technologies tactiles, de par le manque de données à ce sujet, nous pourrions nous attendre à ce que cette utilisation rencontre les mêmes controverses sur le plan scientifique. Toutefois, il semble que l’utilisation des médias interactifs puisse être judicieuse pour les enfants de moins de 2 ans, dont l’intelligence, à cet âge-là, est avant tout sensori-motrice.
Les parents ont un rôle essentiel à jouer dans la qualité et la quantité d’expériences que les enfants vont vivre avec ces outils. L’accompagnement par les adultes est fondamental pour guider le jeune enfant dans ses activités numériques ludiques, afin qu’il soit en mesure de mettre du sens dans le monde qui l’entoure (Huerre, Vlachopoulou, 2015). L’écran tactile, dans un contexte relationnel, pourrait donc être considéré comme un objet permettant au jeune enfant, au même titre que les autres objets à disposition, d’explorer et de développer ses connaissances.
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