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Cet article a pour but de faire une revue de la littérature à propos de l’effet de la télévision sur le développement, notamment pendant les trois premières années de vie, et de repérer les contextes dans lesquels l’écran peut être un outil d’apprentissage ou, au contraire, présenter plutôt des effets délétères.
03 oct. 2022
Esseily Rana , Guellai Bahia , Chopin Adrien , Somogyi Eszter
Temps de lecture : 15 min

Les premiers programmes télévisés éducatifs pour enfants ont fait leur apparition dans les années 1960. L’un des premiers programmes, « Sesame Street », apparu aux États-Unis en 1969 et adapté en France en 1974, est aussi le programme le plus étudié par les chercheurs. Les études ont montré qu’il est un outil éducatif intéressant, notamment auprès des enfants âgés entre 3 et 5 ans, et chez une population désavantagée, comme les enfants d’origine hispanique aux États-Unis (Ball, Bogatz, 1970 ; Rice et coll., 1990). Durant les trente dernières années, le nombre de programmes télévisés ciblant les enfants ou les bébés est allé croissant, entraînant une augmentation du temps d’exposition à la télévision et à un âge plus précoce.

En 1971, aux États-Unis, la moyenne d’âge du début d’exposition à la télévision est de 4 ans ; en 2009, la moyenne d’âge est de 4 mois (Christakis, 2009). Dès 1998, une entreprise chargée de mesurer les audiences médiatiques (Nielsen Media Research, 1998) publie un rapport révélant l’étendue de la présence télévisuelle dans la vie des jeunes enfants et des bébés aux États-Unis : les enfants de plus de 6 ans regardent déjà en moyenne deux heures de télévision par jour, et ceux âgés de moins de 2 ans, trois heures par jour en moyenne.

Suite à ces taux d’exposition importants, l’American Academy of Pediatrics (aap) recommande en 1999 que les enfants âgés de moins de 2 ans ne soient pas exposés aux écrans. Ces préconisations ne reposent alors pas sur des études scientifiques, mais seront suivies de nombreuses études au cours des dix années suivantes. De manière générale, ces études s’accordent pour dire que l’exposition à la télévision chez des enfants de moins de 3 ans est délétère pour leur développement cognitif. En 2008, le ministère français de la Santé limite la diffusion des chaînes spécifiquement conçues pour les bébés. Finalement, des études plus récentes montrent que l’effet de la télévision sur le développement dépend de plusieurs facteurs contextuels, tels que le contenu du programme télévisé, l’investissement des parents dans le choix des programmes et leur accompagnement pendant que les enfants regardent la télévision, ainsi que l’attitude des parents vis-à-vis de l’écran. L’âge est également un facteur déterminant. Il est donc difficile de répondre clairement à la question que tous les parents se posent : la télévision est-elle bonne ou mauvaise pour les enfants ? Très probablement, et comme Christakis (2007) le souligne, la télévision est à la fois bonne et mauvaise. Dans leur livre destiné aux parents, The Elephant in the Living Room, Christakis et Zimmerman (2006) vont plus loin en disant que « la télévision peut être pire que ce qu’on a imaginé et meilleure que ce qu’on a pensé » (p. 2). Tout dépend de l’usage qu’on en fait et auprès de quelle population.

Prévalence, corrélats et patterns de visionnage

Le temps passé devant la télévision chez les enfants âgés entre 0 et 6 ans ainsi que les corrélats avec certains facteurs environnementaux ont fait l’objet de plusieurs enquêtes aux États-Unis. Ces enquêtes révèlent une durée de visionnage qui varie entre deux et quatre heures par jour en moyenne.

Ces durées de visionnage dépendent de plusieurs facteurs environnementaux. Par exemple, elles varient selon le mode de garde du jeune enfant. La majorité du temps passé devant la télévision se produit à la maison en présence des parents (environ trois heures) (Christakis, Garrison, 2009 ; Tandon et coll., 2011). En garde non parentale, le temps passé devant la télévision est minoritaire, est plus important lorsque la garde se fait à domicile (environ une heure et demie contre dix minutes dans les crèches) et est corrélé avec le niveau d’éducation de la personne en charge de l’enfant (Christakis, Garrison, 2009).

D’autres facteurs sont associés à la durée de visionnage (Cillero, Jago, 2010), dont les principaux sont l’âge de l’enfant, l’origine ethnique, le fait de regarder la télévision en famille, l’accessibilité à l’écran, le niveau socio-économique et les règles parentales. Dans une moindre mesure, l’âge de la mère, son travail ainsi que la présence d’une télévision dans la chambre de l’enfant, sont aussi corrélés avec la durée de visionnage. En revanche, le sexe de l’enfant, la situation familiale, l’âge du père et le nombre de télévisions à la maison ne sont pas associés au taux de visionnage.

Avant 3 ans, l’impact négatif de la télévision sur le développement cognitif de l’enfant semble plus important. Selon les enquêtes, de 60% à 100% des bébés de moins de 2 ans regardent la télévision (Hamel, Rideout, 2006 ; Weber, Singer, 2004). Quarante pour cent des parents commencent à mettre leur bébé devant la télévision dès l’âge de 3 mois, et ce pourcentage augmente pour atteindre 90% à 9 mois (Zimmerman et coll., 2007). Le temps moyen de visionnage chez les 2-24 mois est de quarante minutes par jour, et seulement la moitié des programmes que regardent les bébés sont, selon les dires des parents, des programmes éducatifs. Les parents signalent différentes motivations justifiant l’utilisation de la télévision : son enrôlement en tant que nounou (21%), la croyance que la télévision est divertissante pour les bébés, son utilisation comme moyen de détente (23%), et comme outil éducatif (29%) (Zimmerman et coll., 2007 ; Linebarger, Walker, 2005). Seuls 32% des parents disent regarder la télévision avec leurs enfants (Zimmerman et coll., 2007).

Nous nous proposons dans un premier temps de détailler les effets du visionnage précoce de la télévision sur les capacités d’apprentissage et sur le développement langagier des bébés, pour ensuite évoquer les contextes modérateurs de ces effets.

La télévision est-elle une source d’apprentissage et d’information pour les bébés ?

Il est important de comprendre comment les bébés perçoivent la télévision. Dès l’âge de 6 mois, les bébés peuvent reproduire de nouvelles actions dirigées vers des objets, démontrées sur un écran, alors qu’ils ne produisent pas ces mêmes actions lorsqu’ils ont simplement manipulé les objets (Barr, Hayne, 1999 ; Strouse, Troseth, 2008). Cependant, la reproduction d’actions reste moins bonne à partir d’un écran que lorsque le modèle est réel, et il faut deux fois plus de démonstrations (Barr et coll., 2007ab) ou de temps d’exposition (Strouse, Troseth, 2008) à la démonstration pour que les bébés reproduisent l’action à partir d’un écran. Cet effet est appelé « l’effet déficitaire de la vidéo » et il dure jusqu’à l’âge de 30 mois.

Une seule étude a systématiquement comparé la reproduction d’une action lorsque le modèle est présenté sur un écran ou est présenté dans un livre (construit à partir d’images capturées sur l’écran) chez des enfants âgés de 18 à 24 mois (Simcock, Garrity, Barr, 2011). Les enfants ont reproduit l’action à la fois dans la condition « écran » et dans la condition « livre », alors que les enfants qui n’ont pas eu la démonstration ne la produisaient pas spontanément. De manière étonnante, les enfants reproduisent plus dans la condition écran. L’écran peut donc être une source d’apprentissage plus adaptée que le livre, au moins pour l’apprentissage d’actions. Néanmoins, il s’agit d’une étude en laboratoire où le matériel était contrôlé spécifiquement pour être adapté aux bébés. D’autres études plus écologiques (DeLoache et coll., 2010) montrent que l’apprentissage de nouveaux mots à travers les vidéos éducationnelles est négligeable entre 12 et 18 mois. Les chercheurs ont demandé aux bébés de pointer des objets lorsqu’ils entendaient le nom de ces objets. Le nom était appris soit à partir d’une vidéo, soit en interagissant avec les parents. Les bébés n’ont appris aucun mot dans la condition vidéo, au contraire de la condition interactionnelle. Pourtant, ces vidéos étaient jugées très éducatives par les parents. Notons que le contexte est important : la narration de l’action à reproduire favorise son imitation (Simcock, Garrity, Barr, 2011 ; Seehagen, Herbert, 2010). Ainsi, le pourcentage d’enfants qui imitent augmente considérablement lorsque les objets présentés à la télévision sont nommés ou commentés par les parents ou par la vidéo, en comparaison à des présentations sans commentaire ni accompagnement parental (Bar, Wyss, 2008). L’apprentissage à partir de la télévision chez les bébés semble donc négligeable sans accompagnement parental.

La télévision a également été testée comme source d’information, afin de déterminer si les bébés étaient capables d’associer une information venant de la télévision avec des objets réels (Deocampo, Hudson, 2005 ; Troseth, Saylor, Archer, 2006) ou de généraliser l’information lorsque celle-ci est apprise à partir d’un écran tactile (Zack et coll., 2009). De manière générale, ces études montrent que les bébés ont des difficultés à généraliser une action apprise en 2D (sur un écran) vers un objet en 3D (un objet réel) et vice versa, ou à localiser un objet dans la pièce lorsque les indices sont donnés à travers un écran. Les enfants imitent plus l’adulte lorsque le modèle à l’écran interagit avec l’enfant que lorsque celui-ci est filmé en avance et ne peut pas interagir avec l’enfant (Nielsen, Simcock, Jenkins, 2008). Ils peuvent aussi localiser un objet dans la pièce grâce aux indices fournis par l’adulte interagissant sur l’écran (Troseth, DeLoache, 1998) : l’interaction avec les autres reste une source privilégiée d’apprentissage et d’information.

L’effet de la télévision sur le développement du langage entre 0 et 3 ans

La télévision peut jouer un rôle dans le développement de certains apprentissages. Nous détaillons ici plus spécifiquement le lien entre la télévision et le développement langagier. Il est clair que l’apprentissage du langage se fait de manière active et que les interactions y jouent un rôle primordial (Bruner, 1983). Or, le visionnage télévisuel est en général passif. Ainsi, deux heures quotidiennes passées à regarder la télévision entre 15 et 48 mois multiplient par trois la probabilité de voir apparaître un retard dans le développement du langage, par six pour les enfants avant 1 an, par huit si l’enfant regarde seul (Chonchaiya, Pruksananonda, 2008). Plus un enfant de moins de 3 ans regarde la télévision seul, moins son niveau de syntaxe sera bon entre 3 et 4 ans (Naigle, Mayeux, 2001). De plus, les enfants de 6 mois exposés à la télévision en moyenne deux heures par jour ont de moins bonnes performances cognitives et un moins bon niveau de langage à 14 mois que des enfants non exposés (Tomopoulos et coll., 2010). Toutes les recherches montrent que la télévision, en réduisant les temps d’interactions réelles avec les adultes, peut avoir un effet néfaste sur le développement lexical et syntaxique chez les enfants avant 3 ans.

La plupart des enquêtes réalisées se sont centrées sur le nombre d’heures de télévision par jour. Néanmoins, le volume de visionnage ne semble pas être le facteur le plus important à considérer. Les chercheurs semblent d’accord pour mettre l’accent sur la qualité, et non sur la quantité de visionnage.

La qualité et pas la quantité

La qualité de l’offre télévisuelle peut être mesurée à travers trois composantes : (1) le contenu des programmes regardés ; (2) leur structure formelle ; et (3) le contexte dans lequel les bébés et les enfants regardent la télévision.

Il a été montré que le contenu des programmes influence le développement du langage (Linebarger, Walkern 2005 ; Hudon, Fennel, Hoftyzer, 2013 ; Okuma, Tanimura, 2009) et des fonctions exécutives (Barr et coll., 2010 ; Zimmerman et coll., 2012).

Par exemple, un niveau supérieur de langage est associé aux enfants qui regardaient des programmes contenant des structures narratives, des personnages qui s’adressent directement à l’enfant et qui ménagent des pauses pour que l’enfant puisse répondre (par ex., « Dora l’exploratrice »). En revanche, les programmes qui n’ont pas de structure narrative et qui contiennent des stimuli complexes (par ex., « Teletubbies ») sont associés à un niveau pauvre de langage chez les enfants.

Quant aux fonctions exécutives, elles sont réduites par l’exposition à des programmes adressés aux adultes comparés aux programmes adressés aux enfants (Linebarger, Walker, 2005). À 3 ans, le visionnage de programmes violents ou de programmes non éducatifs est corrélé à des déficits attentionnels cinq ans plus tard, tandis qu’aucune corrélation n’est relevée avec les programmes éducatifs (Zimmerman et coll., 2012). Il est aussi important de noter que les enfants de différents âges ne prêtent pas attention aux mêmes types de contenu, et qu’il faut donc adapter les programmes télévisés en fonction de l’âge de l’enfant. Par exemple, certains programmes spécifiquement destinés aux nourrissons (« Baby Einstein », « Brainy Baby »…) se sont avérés largement corrélés avec des lexiques plus pauvres (mesurés avec le cdi [1]) lorsque ces programmes sont utilisés entre 8 et 16 mois, mais sans effet après cet âge (Zimmerman, Christakis, Meltzoff, 2007). Valkenburg et Vronne (2004) montrent que la sensibilité attentionnelle des bébés change entre 18 et 30 mois : au départ, ils sont attentifs à la saillance du contenu (applaudissements, surprises visuelles) et deviennent attentifs à ce qui est non saillant (actions modérées, chiffres, lettres, dialogues monotones). De plus, les enfants sont plus attentifs face aux programmes légèrement supérieurs à leur niveau de connaissances et de compétences.

Les caractéristiques formelles incluent le montage, le nombre de scènes et la vitesse du film. La vitesse du film a un effet sur les fonctions exécutives des enfants. Un film avec une vitesse accélérée (tel « Bob l’éponge ») comparé à un programme éducatif dont la vitesse est naturelle (« Sesame Street ») a des effets délétères et immédiats sur les capacités attentionnelles (Zimmerman, Christalis, 2007 ; McCollum, Bryant, 2003) et les fonctions exécutives (Lillard, Peterson, 2011). Ces programmes perturbent les capacités attentionnelles des enfants puisque leurs caractéristiques structurelles (vitesse accélérée, changement rapide et continu de scènes et montages rapides) sont très stimulantes et ne correspondent pas à la vitesse naturelle de la vie réelle, ce qui positionne l’enfant en décalage avec la réalité.

Enfin, le contexte est un autre facteur essentiel dans l’analyse de la qualité du programme télévisuel. Dès l’âge de 6 mois, le fait d’avoir un parent qui participe et commente le contenu de la télévision entraîne un effet positif sur l’attention de l’enfant dans l’échange parent-enfant (Barr et coll., 2008 ; Fidler, Zack, Barr, 2010). Les programmes éducatifs peuvent également former une base de jeu et de créativité entre parents et bébés dans les deux premières années de vie, encourageant par exemple les parents à la dénomination d’objets (dans « Baby Einstein ») et/ou à imaginer de nouvelles activités (dans « Sesame Street ») (Pempek et coll., 2011).

Les effets délétères de la télévision sur le développement concernent principalement le développement langagier, les capacités attentionnelles ainsi que les interactions parents-enfants.

Dans le cadre de ces études, la télévision est toujours la cible attentionnelle directe de l’enfant et de ses parents. Qu’en est-il lorsque la télévision est allumée en permanence et présente, en arrière-plan, un bruit de fond qui accompagne toutes les activités ?

L’effet de la télévision en arrière-plan

Il s’agit d’une situation qui consiste à garder la télévision allumée en bruit de fond sans que les contenus diffusés soient particulièrement destinés aux enfants, plutôt que de sélectionner un programme pour un temps de visionnage donné (Setliff, Courage, 2011). Ici, nous résumerons les résultats des rares études qui ont exploré les effets de la télévision en arrière-plan sur le développement cognitif des enfants de moins de 3 ans. C’est peut-être le contexte de visionnage le plus nuisible au développement et aux interactions précoces.

Ce n’est pas le fait de regarder la télévision en soi qui détermine les effets sur le développement mais plutôt les contextes dans lesquels l’écran est regardé, ainsi que le contenu.

Les enfants passent en moyenne la moitié de leur journée devant des programmes de télévision pour enfants et adultes (Setliff, Courage, 2011 ; Anderson, Pempek, 2005). Soixante-quinze pour cent des parents américains disent que la télévision est allumée en moyenne la moitié de la journée, même si personne ne la regarde vraiment. Les conséquences de cette exposition massive est que la quantité et la qualité des interactions entre parents et enfants sont affectées : les parents parlent moins et plus passivement quand la télévision est allumée en arrière-plan que quand elle est éteinte (Mendelsohn et coll., 2008 ; Kirkorian et coll., 2009). Barr et ses coll. (2010) ont montré que dans une cohorte d’enfants âgés de 6 à 18 mois aux États-Unis, les plus jeunes enfants sont les plus exposés à la télévision, notamment aux programmes pour adultes. Leur étude révèle beaucoup de variabilité interindividuelle, suivant notamment l’attitude des parents face aux écrans. Par exemple, lorsque qu’il y a un aîné, les parents ont tendance à commenter le programme devant les enfants.

Le problème de la télévision en bruit de fond est qu’elle distrait l’attention de l’enfant de l’action en cours. Plusieurs études (Setliff, Courage, 2011 ; Schmidt et coll. 2008) ont montré que la télévision en bruit de fond vient interrompre les sessions de jeu des enfants de 6, 12, 24 et 26 mois. Les publicités, notamment, attirent l’attention des enfants car ces derniers ont encore peu de contrôle sur leur focus attentionnel (Ruff, Rothbart, 2001). Même si les enfants regardent peu l’écran au final (5% du temps), les jeux solitaires de l’enfant sont moins riches et moins complexes que lorsque la télé est éteinte.

D’autres chercheurs ont montré que la télévision en bruit de fond venait interrompre les interactions entre le parent et le nourrisson. Les mères d’enfants âgés de 13 mois utilisent un vocabulaire moins riche lorsque la télé est allumée vs. éteinte pendant qu’elles jouent avec leur enfant (Masur, Flynn, Olson, 2016). Ceci a un impact négatif sur la taille du lexique chez ces mêmes enfants à 17 mois. Un enfant entend 25% de mots en moins par jour quand la télévision est allumée plutôt qu’éteinte (Masur, Flynn, Olson, 2016), soit quatre millions de mots en moins au bout de trois ans. Ce chiffre est important quand on sait que le nombre de mots entendus avant 3 ans est un bon prédicteur des performances cognitives et linguistiques à venir (Hart, Risley, 1995 ; Zimmerman et coll., 2009).

Conclusion

Au vu de la littérature, il est clair que : (1) ce n’est pas le fait de regarder la télévision en soi qui détermine les effets sur le développement mais plutôt les contextes dans lesquels l’écran est regardé, ainsi que le contenu ; (2) les enfants âgés entre 5 et 6 ans semblent bénéficier d’un apprentissage langagier à partir de certains programmes éducatifs et dans des contextes de visionnage adaptés ; (3) en revanche, chez les plus jeunes, il existe un effet délétère de la vidéo qui explique le fait que les bébés apprennent moins de la télévision que d’un modèle réel et utilisent moins l’écran comme une source d’apprentissage ou d’information ; enfin, (4) la télévision a un effet négatif sur le développement cognitif lorsque le visionnage est non encadré et précoce.

Les effets préjudiciables de la télévision sur le développement concernent principalement le développement langagier, les capacités attentionnelles ainsi que les interactions parents-enfants. Il existe au moins deux mécanismes à travers lesquels l’écran peut avoir des effets délétères sur le développement. Le premier mécanisme est lié aux caractéristiques formelles du contenu télévisuel, à savoir les lumières intermittentes, la vitesse de l’action qui peut être hyperstimulante. Ces caractéristiques peuvent être perturbatrices pour les jeux et les interactions langagières lors d’un visionnage en arrière-plan. L’âge de début semble être un facteur important à prendre en compte, puisqu’une association entre le visionnage de la télévision avant l’âge de 3 ans et des troubles attentionnels testés à 7 ans a été relevée (Christakis et coll., 2004). Or, cette association n’est pas notée pour un visionnage à 5 ans (Stevens, Mulsow, 2006).

Le second mécanisme s’opère par le fait que le temps de visionnage remplace des activités plus importantes et plus appropriées aux apprentissages. Par exemple, les adultes interagissent moins et parlent moins avec leurs enfants quand la télévision est allumée. Ce mécanisme est d’autant plus important à un âge précoce. Il est donc légitime de questionner l’effet de l’exposition à la télévision avant l’âge de 2 ans, d’autant plus que celle-ci est de plus en plus précoce (Wartella, Richert, Robb, 2010). Par ailleurs, nous connaissons depuis Piaget le rôle du corps et du mouvement dans le développement cognitif des bébés. L’exposition aux écrans change le contexte de ce développement puisque les situations de visionnage sont passives et que le bébé ne perçoit pas les choses de la même façon qu’en mouvement. L’enfant est contraint à un apprentissage plus passif qu’exploratif ou social. Il est important de conduire des études afin de mieux comprendre les nouveaux processus mis en place face à ces nouveaux médiateurs d’apprentissage.

Précisons que la majorité des études citées dans cet article sont des études corrélationnelles, il est donc impossible d’établir un lien de causalité entre le visionnage de la télévision et les effets tels que les troubles attentionnels et cognitifs, sans expérimentation directe. Il se peut par exemple que les enfants qui ont des troubles d’attention soient plus attirés par les écrans ou que leurs parents les utilisent plus comme une nounou, et que le visionnage passif ne soit pas la cause du trouble attentionnel mais une conséquence.

Il est impossible de supprimer les écrans des foyers, en outre, ils font petit à petit leur entrée dans les systèmes scolaires. Il est impératif d’informer les partenaires du bébé et de l’enfant d’âge scolaire des risques liés à une exposition prolongée aux écrans passifs, et au contraire, de renforcer les contextes qui favorisent l’apprentissage dans des situations d’interactions tels que le visionnage de contenus appropriés et le visionnage accompagné et commenté. Un travail de diffusion de ces recommandations nous semble essentiel puisque seuls 10% des parents américains ont connaissance des recommandations de l’apa (Christakis et coll., 2004). Il est à noter que la grande majorité des études et des enquêtes ont été effectuées aux États-Unis. En France, depuis 2008, les institutions obligent les chaînes de télévision destinées aux bébés à avertir leur public des dangers de la télévision sur le développement sociocognitif. Ces recommandations ont été initiées grâce à la mobilisation des acteurs, chercheurs et associations de la petite enfance, immédiatement après le lancement de ces chaînes en France (Tisseron, 2009 ; Desmurget, 2011). Malgré cela, peu d’études existent à ce jour sur la prévalence et les corrélats de la télévision chez une population française. Ces études sont importantes car elles nous permettront également de prévenir des problèmes de santé publique liés à l’obésité et aux troubles du sommeil. En effet, aux États-Unis, l’exposition à la télévision est associée au surpoids (Crespo et coll., 2001), notamment lorsque les enfants ont une télévision dans leur chambre (Dennison, Erb, Jenkins, 2002), mais aussi aux troubles du sommeil chez les enfants de moins de 3 ans (Thompson, Christakis, 2005).

Enfin, une réflexion méthodologique sur l’utilisation de l’écran lors d’expériences dans les laboratoires d’étude du comportement du bébé doit également être menée. Les premières expérimentations utilisant les temps de regard chez le nouveau-né et le bébé ont été réalisées à partir de supports réels, où les objets étaient présentés à l’enfant par un expérimentateur. Depuis quelques années, l’écran est devenu un support privilégié pour présenter les stimuli, probablement pour des raisons économiques, par souci de standardisation et grâce au développement des systèmes d’analyse du regard. Cet engouement des chercheurs n’a malheureusement pas été accompagné d’une réflexion sérieuse sur ce que perçoivent réellement les bébés sur un écran, et si les stimuli conservent leurs propriétés par rapport à un support réel. Or, comme nous l’avons vu, la réalité n’est pas perçue de la même façon sur un écran, et l’écran n’est pas facilement utilisé comme source d’information.

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