Article

Quand les parents viennent me voir, c’est que l’allaitement est difficile, au moins dans leur vécu et parfois dans la réalité. Les parents souvent sont débordés par l’intensité des besoins du bébé. Ils ont peu de représentations de cette période de la vie. Et que ce soit la société ou les professionnels de la périnatalité, nous sommes peu rassurants et peu soutenants pour de jeunes parents.
03 mars 2022
Régine Prieur
Temps de lecture :

L’analyse des chiffres de démarrage d’allaitement puis d’arrêt ou de passage à l’allaitement mixte est un très bon indicateur pour montrer à quel point ce premier trimestre est vite décourageant pour les parents dans notre pays. Et combien la mise en place de l’allaitement en paye le prix.

Si, en 2013, autour de 74% (59% en exclusif) des mères décident d’allaiter, à 3 mois, seules 10% allaitent encore exclusivement et 29% en mixte [1]. Ces chiffres, au lieu de continuer à s’améliorer d’année en année, stagnent, voire diminuent depuis dix ans.

L’on est encore plus interrogé quand, par exemple, on compare ces chiffres avec ceux de la Norvège : 99% d’allaitement à la naissance, 89% à 3 mois, 82% à 6 mois et 46% à 12 mois [2]. Pourtant, ces pays sont partis des mêmes chiffres que nous dans les années 1970. Mais ils ont mis en place une politique claire d’accompagnement et de soutien de la parentalité et de l’allaitement.

Leurs résultats montrent l’impact de l’accompagnement sur les difficultés ou, au moins, sur leur résolution. Toutes ces problématiques s’inscrivent dans une certaine vision sociétale et bien au-delà de l’allaitement, de la représentation que nous avons de la mère et du bébé.

 La concentration des difficultés se situant sur le premier trimestre, je m’intéresserai ici à cette période.

Le premier trimestre a une coloration particulière dans la première année, et c’est celui où le besoin de soutien est le plus fort. À la naissance, le système nerveux, et particulièrement le cerveau, de l’être humain est nettement moins développé que chez les autres primates. Grande plasticité, connexions, prolifération, arborisation, élimination, simplification des synapses, myélinisation, voilà la vie intense du cerveau du nouveau-né. Les hypothèses sur le pourquoi de l’immaturité particulière du cerveau humain à la naissance sont nombreuses, et vont du passage à la bipédie et le paradoxe obstétrical qui en découle, à la nécessaire protection du corps de la mère qui ne pourrait pas supporter une grossesse plus longue. Mais quelle qu’en soit la raison, développer son cerveau essentiellement dans la vie extra-utérine participe fortement à notre spécificité humaine.

Et si l’on y regarde de plus près, le premier trimestre représente la période où la croissance est la plus spectaculaire.

Une étude récente californienne sur 87 nouveau-nés [3] a montré que le volume total du cerveau à la naissance était du tiers de sa taille adulte. Il augmentait d’environ 1% par jour dès la naissance pour descendre progressivement à 0,4% par jour à 3 mois. La croissance était de 64% ces trois premiers mois. C’est le cervelet, contrôlant le mouvement, la coordination et l’équilibre, qui croît le plus vite les premiers temps (en moyenne 102%).

 Ce qui se passe dans la réponse aux besoins particuliers des bébés dans ce « quatrième trimestre » est donc probablement fondamental en termes, notamment, de sécurité de l’attachement, d’epigénétique, de connections des synapses… On sait aussi combien des pleurs sans réponse adulte augmentent le taux de cortisol et, si cela n’est pas forcément grave sur un temps très court, un taux trop important et pendant une période trop longue a un impact sur le développement.

Le système intestinal (son deuxième cerveau) est lui aussi immature et vierge à la naissance. Sa colonisation rapide, mais pas assez à notre goût, va rendre son travail difficile jusqu’à 3 ou 4 mois environ, puis s’apaiser sans que nous n’y fassions rien.

Une mère, parmi tant d’autres, me confiait : « Pour ma part, je suis complétement perdue. Je me dis que si ça dure trop longtemps comme ça, je vais craquer. Je pensais prendre plus de plaisir à être mère, mais en fait, je passe par tous les extrêmes, du plus doux au plus dur, du pire au meilleur, de l’attendrissement à l’extrême exaspération. Et quand les autres me disent : “Alors ça y est, tu es comblée”, la culpabilité de ne pas l’être me terrasse. Mais vraiment, comment peut-on être comblée par un bébé qui ne vous lâche quasiment jamais de jour comme de nuit, en semaine comme les week-ends, qui ne dort deux heures d’affilée dans la journée que si on le balade, et pas plus de 30 à 45 minutes dans son berceau, et qui la nuit, parfois, ne dort que sur moi ou sur mon mari ? »

Une autre : « C’est un véritable tsunami pour moi, je ne maîtrise plus rien, je n’ai le temps de rien, ma vie est complétement chaotique, parfois je me dis que je me suis trompée, que je ne suis pas faite pour être mère, on devrait nous le dire avant, c’est trop dur. Il y a un vrai deuil douloureux à faire sur sa vie d’avant. »

Notre méconnaissance des comportements
normaux du nouveau-né ne nous permet pas
de rassurer les parents. Au contraire, nous les
inquiétons en leur demandant de faire grandir
ce bébé plus vite qu’il n’y est prêt.

Face à ce désarroi si fréquent, j’aime bien expliquer aux parents que le premier trimestre de la vie du bébé est plutôt le quatrième trimestre de la grossesse. On n’insistera jamais assez sur l’inachèvement important du bébé, son immaturité, et donc son extrême dépendance, particulièrement les quatre premiers mois.

La notion de développement n’est pas assez claire, il me semble, chez les professionnels du périnatal. Personne n’aurait l’idée de dire aux parents : « Il va falloir que vous lui appreniez à marcher. » Tout le monde sait que l’enfant va passer tout seul de la station assise aux quatre pattes puis à la marche. Tout le monde comprend, pour la marche, ce qu’est le développement, inscrit génétiquement et propre à chacun. Certains marchent à 9 mois, d’autres à 18 mois.

Mais de nombreux autres comportements du bébé sont sur cette même logique, dans son axe développemental. Ils vont donc se modifier ou disparaître sans aucune action de notre part.

Prenons un exemple : le nouveau-né tète très souvent en plusieurs prises séparées par des pauses, et a donc de très long « repas ». Combien de fois entend-on les professionnels dire aux parents : « Stimulez le bébé, ne le laissez pas s’endormir. » « Il a pris l’essentiel de sa ration les dix premières minutes. » Mais ce comportement n’est pas plus un problème que de ne pas tenir assis à la naissance. C’est un comportement normal dans son âge développemental qui passera tout seul entre 1 mois et demi et 2 mois, avec, tout d’un coup, l’apparition de tétées rapides. Par contre, en résistant à cette organisation normale, les parents vont désespérément faire patienter un bébé qui ne veut que son dessert pour pouvoir s’endormir tranquillement.

Notre méconnaissance des comportements normaux du nouveau-né ne nous permet pas de rassurer les parents. Au contraire, nous les inquiétons en leur demandant de faire grandir ce bébé plus vite qu’il n’y est prêt. Nous leur faisons penser que ce qui est un comportement développemental normal est un comportement à corriger. L’on va proposer de corriger ce comportement en « l’encadrant » par des normes de puériculture trop rigides qui ne correspondent en rien à la diversité des bébés [4].

Quels sont les comportements dans ce « quatrième trimestre » qui vont être très désorientants pour les parents :

- téter entre huit à vingt fois par jour ;

- ne pas prendre un repas en continu mais en petits plats successifs, avec des pauses entre les plats donnant l’impression de très longues tétées et que le bébé est « pendu au sein » une large partie du temps. Et tout ça de façon complètement anarchique : la prise de repas suit plus son éveil que son appétit, donc surtout après-midi, soir et début de nuit ;

- téter deux à trois fois la nuit ou plus ;

- ne jamais dormir plus de 45 minutes dans un berceau tant il faut du temps pour se départir du bercement utérin. J’explique souvent aux parents combien le nouveau-né a le « mal de terre ». Il est comme un navigateur parti de longs mois en mer et qui ne peut plus dormir dans un lit sans le clapotis et le bercement de la mer à son retour sur terre ;

- avoir des besoins de portage qui dépassent souvent tout ce que les parents avaient imaginé. Et donc ne dormir deux ou trois heures dans la journée que si l’on marche avec lui dans les bras ou en portage. Ce qui veut dire que l’on ne peut pas en profiter pour dormir nous-mêmes ;

- avoir des moments de grande agitation le soir, où seuls le sein, les bercements en marchant vont apaiser le bébé ;

- être très agité et bruyant quand il dort ;

- avoir un besoin intense de proximité corporelle et n’étant bien parfois que sur nous, surtout le premier mois. En résumé, détester les berceaux ;

- avoir besoin d’enroulement et de rassemblement pour se calmer. Dans les phases d’acquisition ou d’étape développementale (c’est d’ailleurs vrai toute la vie), le bébé est particulièrement excité et son immaturité ne lui permet pas de réguler son excitation tout seul. Il va chercher frénétiquement le calme dans les bras, la marche ou le sein, vers trois semaines, par exemple, créant un deuxième tsunami dans les émotions maternelles et beaucoup d’inquiétude. On peut même, si l’on affine l’observation, repérer des périodes à tonalité différente dans ce trimestre-là : les quinze premiers jours, plutôt un bébé calme et dormeur, puis l’augmentation du temps d’éveil avec son corollaire, plus d’excitation et de pleurs, enfin, un début d’accalmie parfois vers 6 semaines (pas toujours), en tout cas vers 4 mois.

Notes

Commentaires

Ajouter un commentaire

Vous devez vous connecter pour poster un message !

Contact

33 avenue Marcel Dassault
31100 Toulouse

05.61.95.67.35

hello@spirale.com

Newsletter personnalisée

Inscrivez-vous à notre newsletter personnalisée et recevez des informations et conseils sur les thèmes que vous souhaitez !

S’inscrire à la newsletter

© 2024 Spirale - éditions érès | Mentions Légales | Plan du site