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26 avr. 2022
Diodo Ly Oumou , Absa Dieng Mame , Camara Momar , Sandri Rosella , Habib Thiam Mamadou
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Traditionnel, le portage africain pourrait être considéré comme celui qui nous est le plus familier, même si les méthodes et les dispositifs pour porter les bébés varient selon les cultures et les civilisations. Le portage est une technique utilisée de génération en génération dans de nombreuses cultures pour ses bienfaits. Il assure au bébé un bien-être total, un épanouissement serein, un meilleur développement psychomoteur, social et cognitif.

Le portage, moyen de materner, répond au besoin de proximité du bébé tout en le protégeant.

En quoi le portage est-il un élément important dans le maternage du bébé ? Quels sont les bénéfices pour la santé du bébé ? Nos observations réalisées en domicile parental à Dakar nous aideront à répondre à ces interrogations.

Les différentes formes de portage : corps du bébé, corps d’adulte

Le portage évolue selon l’âge du bébé et autour du corps de la mère ou du substitut maternel. Un extrait d’observation de la naissance à 3 ans peut nous éclairer :

« Bébé Amina : Trois jours après la naissance, je me rends chez Mme Fall. L’un de ses jeunes frères, Ali, qu’elle m’avait présenté le premier jour, me demande de patienter dans le petit salon puis va l’aviser. Mme Fall me demande de la retrouver dans sa chambre, elle porte une robe de chambre, assise sur le lit, le genou gauche un peu au-dessus de celui de droite, elle porte son bébé dans ses bras. Elle la berce à la façon traditionnelle, ce qui fait penser soit qu’elle la dorlote soit qu’elle attend un rot. Après les salutations, elle me demande de prendre le bébé. Je m’installe sur une chaise placée dans la chambre puis fais de même.

« Tout en chuchotant pour répondre aux questions de la maman, j’observe bébé dormir dans mes bras, sourire de temps à autre. Elle est claire, très mignonne. Elle porte une grenouillère rose.

« Quelques minutes après, je la rends à sa maman qui la met sous la moustiquaire placée au milieu du lit. »

De la naissance à 6 mois, le bébé est porté horizontalement dans les bras de la mère, dans la position de l’allaitement au sein.

Quelques extraits d’observation de bébé Raby illustreront cette pratique :

« Bébé Raby, 5 semaines 5 jours : Mémé (la grand-mère) est assise sur un banc, bébé Raby à ses genoux. Bébé Raby est habillée tout en blanc : pantalon, tee-shirt et chemise. Sa tenue ressemble à un kimono. Elle a les yeux grands ouverts, au grand dam de Mémé qui pensait qu’elle s’assoupissait. Son attitude me semble être le signe qu’elle ressent ma présence. En effet, elle s’agite dans les bras de Mémé, remuant ses épaules et son buste… Fanta, sa mère, nous rejoint puis prend bébé Raby des mains de Mémé pour me la confier. Elle reste dix minutes dans mes bras. Elle pète plusieurs fois, me faisant croire qu’elle faisait caca. Elle est calme, le regard dans le vide...

« Bébé Raby commence à faire des mouvements de succion. Je la redonne alors à Fanta, assise à mes côtés. Elle sort immédiatement le sein. Bébé Raby tète du côté droit et par intermittence. Mémé pense que c’est à cause de son petit estomac. Bébé Raby se précipite sur les premières gorgées.

« Quand elle tète, de même quand elle fait ses besoins, elle est toujours dans les bras de sa mère à cet âge. »

À partir de 6 mois, le bébé est porté verticalement, tenu par les fesses et accolé à l’épaule de l’adulte.

La suite de l’observation d’Amina l’illustrera :

« Amina est descendue des épaules de son oncle qui la portait. Tout en nous parlant, il l’aide à s’installer sur ses genoux… Elle est moins excitée qu’elle ne l’était auparavant, c’est comme si elle manifestait l’envie de profiter de cette présence. »

À partir de l’acquisition de la position assise, il est porté sur la hanche.

« Amina pleure pendant tout ce temps. Sophie, la nounou, la porte sur la hanche, et pour la calmer, elle essaie de lui parler en lui montrant les feuilles des arbres et en évoquant des sons comme “miaou” pour appeler le chat… »

Le portage au dos débute au huitième jour, après la chute du cordon ombilical, il accompagnera pendant longtemps les autres formes de portage avec son cortège de rituels. Toutes ces formes de portage sont accompagnées d’une berceuse pour apaiser le bébé et lui garantir un sommeil tranquille.

« Sophie la met au dos pour la calmer et elle finit par s’endormir… Sa maman sort de la chambre, me retrouve au petit salon et me serre la main. Elle porte Amina au dos, et dit qu’elle vient juste de s’endormir. Elle était très excitée tout à l’heure. Elle a passé tout son temps à courir derrière Pape Moussa, son frère de 5 ans. »

 Durant tout ce temps, on assiste à l’éveil sensoriel de bébé. À hauteur d’adulte, il observe son entourage, entend les bruits, les voix humaines, etc.

On assiste depuis quelque temps à l’apparition d’une forme de portage : le portage dit « kangourou », qui a une visée à la fois thérapeutique et de transport de l’enfant. Cette forme de portage est interdite dans le milieu traditionnel, comme le dit l’adage « bote kanamwacceganaw ». C’est plus expressif dans le langage originel mais on pourrait traduire par « le bébé du ventre au dos ».

L’interdit porte sur la prohibition de l’inceste. Le bébé porté sur la poitrine de la mère simule ou suggère la position du rapport sexuel entre deux partenaires hétérosexuels ; c’est en ce sens que l’interdit est plus fort encore quand il s’agit d’un bébé garçon.

Cette évolution des formes de portage montre que le premier berceau du bébé, c’est le corps de la mère. En effet, même la toilette de bébé est faite sur les genoux de la mère ou de l’adulte maternant.

Le matériel de portage

Le matériel du portage au dos est judicieusement choisi. Ce sont les deux pagnes du portage : mbotou et roganti, faisant également office de couche protectrice du bébé pour atténuer les effets de la sueur et de la chaleur du corps de l’adulte sur le bébé.

  • Le premier pagne, mbotou, sorte d’utérus, symbolise la lignée maternelle. Il est taillé en forme de H renversé, permettant de maintenir le haut du corps du bébé au niveau de la poitrine de l’adulte. Les deux lanières du bas maintiennent le bas du corps du bébé au niveau des reins de l’adulte maternant. Le milieu de la bande constitue un sac, un contenant qui assure à l’enfant une certaine sécurité en lui évitant les chutes.
  • Le second pagne, roganti qui couvre le premier, mbotou, a une forme de pagne classique et est fourni par les sœurs du père. Il représente la lignée paternelle. Ce pagne est remis à la mère le jour du baptême, avec l’échange de beaucoup d’autres cadeaux. Il est personnel et accompagnera l’enfant jusqu’à l’âge adulte. On peut le voir comme un objet transitionnel parce qu’il est le lien entre la mère et l’enfant. Il est interdit à l’entourage de l’enfant d’utiliser ces pagnes sous peine de porter préjudice à la santé physique et⁄ou mentale de l’enfant.

L’enfant garde le premier pagne jusqu’au sevrage puis il est lavé, conservé jusqu’à la naissance de son puîné. C’est ce même contenant qui va porter tous les enfants de la même mère, tandis que chaque enfant a son propre second pagne.

Ainsi, le premier pagne devient un objet commun à la fratrie utérine, et le second un objet différenciateur, représentant du père, tiers séparateur.

Les rituels du portage

En milieu africain, les différents rituels ponctuent chaque étape de l’âge de l’enfant jusqu’à la sortie de l’adolescence.

Le premier rituel est celui du bain de la naissance. Le bébé est lavé dans trois eaux tièdes et dans le dernier rinçage on met une poignée de mil, une pincée de sel, du sucre, un petit morceau d’or et d’argent. Le mil est gardé sous le lit de la mère, ou dans un endroit protégé peu fréquenté où il pourra germer. L’or et l’argent doivent être offerts à une dame âgée, reconnue pour sa sagesse, sa vertu, sa stabilité dans son mariage. Ce premier rituel ne peut s’accomplir que si la femme accouche chez elle, mais pas dans les structures sanitaires modernes qui ne s’y prêtent pas.

Un deuxième rituel consiste en la première mise au sein. La mère est invitée à faire couler quelques gouttes de son lait par terre pour ensuite faire téter l’enfant. Ce geste symbolise un rattachement de l’enfant aux ancêtres morts et perpétue ainsi la continuité de la lignée. Avant la mise au sein, on donne à l’enfant une petite boisson d’eau bénite fabriquée par les marabouts ou les guérisseurs. Cette première nourriture spirituelle doit garantir à l’enfant une santé physique solide, une intelligence parfaite et une chance dans la réussite sociale. On ajoute toujours à cette eau bénite un peu de miel et/ou du lait de chèvre. Ces deux premiers rituels constituent des protections, des préventions contre toute attaque maléfique ou maladie.

Le troisième rituel est le portage au dos, effectué publiquement lors de la première mise au dos. La personne qui porte l’enfant pour la première fois est judicieusement choisie : il s’agit d’une fille aînée prépubère et qui a des puînés. Le rituel se fait au crépuscule, à l’aide des pagnes déjà cités. Une fois le tissu protecteur étalé sur le dos de la jeune fille, on déposera alternativement un couteau sur le dos de la jeune fille, puis on le fera tomber par terre, et ce à trois reprises. Puis on fera coucher le bébé sur le dos de la jeune fille, puis par terre, et cela trois fois. On attache le bébé à l’aide des deux pagnes et on demande à la jeune fille de passer dans sept maisons présenter le bébé sans le descendre du dos, et en même temps, de ramasser un brin de balai ou une branchette. Elle fera ainsi le tour des maisons avant de revenir à la maison d’origine.

Les sept brins de balai sont attachés au couteau puis placés sous la couchette au niveau de la tête de l’enfant. Ce rituel est aussi effectué pour garantir à l’enfant intelligence, chance, sociabilité, santé physique et mentale, en chassant ainsi les peurs et les phobies. Chez les Peuls, pour dire de façon métaphorique que quelqu’un n’est pas intelligent, on dira que « ses brins ne sont pas au complet ».

Les différentes significations du portage et leurs bénéfices

Le portage au dos revêt des sens nombreux, à la fois pratiques et psycho-mystiques.

  • Les significations pratiques

Quand la mère met son bébé au dos, elle se libère pour vaquer à ses occupations domestiques : vaisselle, pilage de mil, cuisine, linge, etc. Le portage au dos est une façon de protéger l’enfant contre les accidents domestiques.

En outre, il accélère et consolide l’acquisition de la position assise et de la marche. Hélène Stork (1986) a montré que les différents mouvements que la mère effectue stimulent le canal labyrinthique, accélérateur du développement psychomoteur. En effet, le bébé africain a un développement psychomoteur en avance ; ce qu’attestent toutes les échelles d’évaluation européennes et américaines sur leurs homologues occidentaux, et cela de 2 à 4 mois, malgré la précarité alimentaire du bébé africain.

Les mouvements que la mère effectue constituent également un petit bercement qui permet à l’enfant d’entrer doucement dans le sommeil. S’il ne dort pas, une fois remis par terre, il fait généralement preuve d’une plus grande activité et de mouvements, comme si l’immobilité d’un moment l’avait préparé et stimulé pour des activités de jeux d’éveil.

Le portage ressemble à un processus de naissance : dans les premiers moments, on enveloppe tout le corps du bébé, puis on libère le cou, ensuite un bras ; ultérieurement encore on libère le second bras, enfin, la moitié du haut du corps. Et l’enfant ne sera maintenu au dos de l’adulte que par la moitié de son dos et de ses fesses.

Ce processus favorise chez l’enfant un meilleur développement psychomoteur, une sécurité de base, un équilibre du corps et des mouvements. Madame Ly, pédiatre dans les années 1960 à la pmi de la Médina, a constaté que le portage au dos prévient et corrige la luxation de la hanche chez le bébé. Et un enfant porté à des rythmes réguliers fait preuve de plus de confiance en soi et de sérénité intérieure, ce qui justifie l’expression : « Ma mère ne m’a pas porté avec le journal Le soleil. » Cela fera de certains, plus tard, de grands sportifs. On pense ainsi que le « Sahélien » est généralement remarquable par son type longiligne et grand, en partie grâce au portage précoce au dos.

  • Significations psycho-mystiques

Ces formes de significations renvoient à la protection de la santé mentale de l’enfant, de son intelligence et de sa réussite sociale.

Les bébés sont portés à l’approche du crépuscule jusqu’à l’obscurité totale de la nuit, le but est de permettre à l’enfant d’entrer tout doucement dans la nuit noire, lui évitant ainsi les cauchemars assez fréquents à cet âge.

Selon les croyances traditionnelles, le portage et ses rituels garantissent à l’enfant une protection sans faille contre le maraboutage, les mauvais sorts, les tentations de sorciers anthropophages et les procédés mystiques de « cassures de la chance sociale et de la personnalité du sujet ».

Le portage s’accompagne toujours de berceuse, ce qui fera de l’enfant un être sociable et joyeux.

Pour conclure

Le portage et son cortège de rituels et de significations nombreuses constituent d’abord un moyen facile de transport de l’enfant tant qu’il ne marche pas. Il permet aussi à l’enfant de construire une sécurité de base et une agréable sociabilité. Il présente en outre des aspects thérapeutiques et protège contre les esprits maléfiques.

En cela, il est important d’encourager les mères, surtout les plus jeunes, à porter leur bébé au dos, en vue de l’économie de leur santé physique, psychologique et sociale.

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