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"Pour une professionnelle, obtenir que le bébé réalise par lui-même certains mouvements nécessaires à l’habillage ou au déshabillage, représente une tâche concrète, bien définie, qui modifie la nature de son travail"
24 nov. 2022
Katalin Hevesi
Temps de lecture : 5 min

Tous les moments de participation de l’enfant aux soins – lorsqu’il tend le bras vers la manche de sa chemise, lorsque, à la demande de l’adulte, il se met en position assise ou debout, ou lorsqu’il s’approche de lui en rampant ou en marchant à quatre pattes – sont importants : ils indiquent que l’enfant s’intéresse à ce qui lui arrive et que, pour lui, agir avec l’adulte est une source de plaisir.

Pour une professionnelle, obtenir que le bébé réalise par lui-même certains mouvements nécessaires à l’habillage ou au déshabillage, représente une tâche concrète, bien définie, qui modifie la nature de son travail : elle ne doit pas seulement nourrir le bébé ou le changer, mais développer un intérêt pour le comportement et le développement de cet enfant-là, de sa personnalité. Sa façon de faire influence la nature de la relation qui s’établit entre elle et le nourrisson.

De nombreux soignants essaient de s’occuper du nourrisson non comme d’un objet mais, au contraire, comme d’un être humain, en acceptant l’idée qu’une coopération avec lui est possible. Cependant, cette attitude peut devenir parfois « artificielle » :

La nurse place Zsuzsi, âgée de 12 mois, sur la table de change en lui disant quelques mots. Zsuzsi lui répond par des « euh » et elles se sourient. Puis la nurse l’allonge et, pendant qu’elle la déshabille, lui donne une petite boîte que Zsuzsi regarde avec intérêt, elle babille et donne des coups de pied, exprimant son contentement ; la nurse la lave puis lui remet une couche avec des gestes rapides. Bien qu’elle dise en quelques mots ce qu’elle est en train de faire, elle ne cherche pas le regard de l’enfant : leurs activités sont indépendantes l’une de l’autre, Zsuzsi s’occupant de la boîte, la nurse du soin. C’est quand la nurse commence à enfiler la barboteuse qu’elle demande à l’enfant de lui donner ses pieds, sa voix devient plus vive, elle se penche un peu plus vers l’enfant et attend. Mais Zsuzsi continue à jouer avec la boîte et ne réagit pas.

Dans cet exemple, il est intéressant de noter qu’au début du change, l’enfant s’est tournée avec intérêt vers la nurse et c’est cette dernière, gentille d’ailleurs, qui a rompu l’interaction, juste au moment où elle a commencé le soin. C’est probablement parce qu’elle est prise par sa tâche concrète que la nurse ne « sort » du déroulement du soin qu’à un seul moment de l’habillage, lorsqu’en demandant le pied de l’enfant, elle se penche vers Zsuzsi, cherche son regard et attend sa réponse. Par ailleurs, justement parce que la nurse n’est vraiment attentive à l’enfant qu’à propos de ce seul détail, Zsuzsi n’a pas été préparée à ce que sa participation soit réellement sollicitée.

Nous considérons comme fondamental que le nourrisson suive avec attention les opérations de soins, en observe tous les détails, bien avant de savoir s’habiller tout seul ou même de prendre part à son habillage ; et que les nurses cherchent à faire renaître les échanges et à capter à nouveau le regard du nourrisson, si la chaîne des interactions s’interrompt de temps à autre. Par exemple, lorsqu’une nurse doit détourner son regard de l’enfant pour prendre un gant, dès qu’elle le passe sous l’eau, elle cherche déjà à établir une nouvelle inter-action. Ou, en attachant la couche – geste qu’elle peut faire sans regarder –, la nurse cherche à profiter de l’occasion pour se pencher plus près du nourrisson, lui parler et chercher son regard.

Dans le contexte de cette attention mutuelle, c’est « tout naturellement » que l’enfant donne son pied pour enfiler son vêtement, comme cela n’exige pas, pour la nurse, d’effort particulier pour solliciter l’enfant et attendre sa réponse car ses gestes s’inscrivent dans une attitude d’attention réciproque qu’elle cherche à déployer pendant les soins.

Cette attitude de la nurse devient délicate lorsqu’elle suscite la coopération de l’enfant, que ses gestes et ses paroles attendent, patiemment, une participation de sa part, et que, parfois, celui-ci ne réagit pas toujours comme elle le voudrait : « Prends la brosse de l’autre main », disait une nurse, à juste raison d’ailleurs. Mais l’enfant ne le faisant pas, elle répète : « Il faut prendre la brosse de l’autre main… de l’autre main… de celle-là, de celle-là, de celle-là… » Je crois que les mots parlent d’eux-mêmes : la nurse n’offre pas simplement une possibilité. La répétition de la demande, en ces termes et sur ce ton, fait que le bébé est pratiquement obligé d’exécuter le geste demandé. Ce que confirme la verbalisation de la nurse qui emploie, en parlant à l’enfant, tout d’abord la deuxième personne, puis la forme impersonnelle de la troisième personne : la nurse concentre alors son attention sur le geste à accomplir et plus sur l’enfant. Il ne s’agit plus d’une véritable coopération, il n’en reste que sa caricature…

C’est cette dérive qui amène souvent, dans certaines institutions, à exiger que les enfants âgés de 2 ans et demi à 3 ans s’habillent tout seuls. J’ai déjà vu une jeune nurse, parlant à voix douce et qui, calmement et patiemment, se contentait de donner des tâches à exécuter à une petite fille de 3 ans. Elle ne parlait de rien qui ne soit directement lié à l’habillement. Quand l’enfant a tendu un vêtement, la nurse a refusé de l’aider avec des gestes très doux mais bien déterminés : « C’est toi qui le mets, pas moi », ou « toi aussi, tu dois le vouloir », a-t‑elle dit en posant l’autre main de l’enfant sur la chemise, afin qu’elle ait envie de le faire… C’est une forme de « douce violence ». Et, parfois, le sens de ce que l’on fait se perd :

Attila, qui se déplace déjà à quatre pattes, est appelé par la nurse pour manger. Pendant que celle-ci prépare la nourriture, elle le prévient en lui montrant la bavette, puis se tient à l’entrée de l’aire de jeu, appelant et attendant le petit garçon, l’encourageant plusieurs fois ; mais Attila, bien qu’il soit attentif aux paroles de la nurse, ne bouge pas. Constatant qu’il attend qu’elle vienne le chercher, elle s’accroupit, lui fait des signes de la main et agite même un hochet pour attirer son attention. Attila s’approche un peu, s’arrête et regarde autour de lui, fait encore quelques pas, puis prend un hochet semblable et le secoue. Finalement, ce n’est qu’après un temps bien long que la nurse s’approche de lui et le prend dans ses bras.

La nurse semble avoir oublié son but initial qui est de signifier à Attila qu’il mangera bientôt et de lui suggérer de s’approcher, de lui-même, vers le lieu du repas. De plus, le jeu avec le hochet n’aide pas l’enfant à comprendre la situation et l’a sans doute plutôt troublé, n’ayant servi que le seul but, vidé de son véritable contenu, à savoir qu’il fasse à tout prix ces quelques mouvements. Ce n’est qu’un ersatz de participation…

Voici en revanche un exemple illustrant la réalisation d’une véritable activité commune, observée dans la pratique quotidienne à l’Institut Lóczy :

Tomi est un gros bébé de 9 mois, gai, souriant, mais un peu paresseux. Sa nurse, en train de le changer, lui ôte sa barboteuse. Sa main s’arrête : « Sors ton pied, toi aussi. » Le petit garçon sourit, la nurse répète sa demande, attend : après quelques secondes l’enfant sort un pied. Lorsque la nurse lui enlève sa couche, Tomi saisit son pied nu, le regarde avec intérêt puis, détournant la tête, suce son doigt. La nurse se penche vers lui : « Tu ne fais même pas attention à moi ? » L’enfant enlève son pouce de sa bouche, fait un grand sourire et veut saisir la robe de la nurse qui approche le vêtement de l’enfant en lui disant : « Tiens, voilà la barboteuse. » Elle attend qu’il soit attentif pour lui demander son pied. Tomi donne des coups de pied de façon rythmique sur la table de change et la nurse lui enfile la barboteuse, en suivant le rythme du mouvement de l’enfant. « Tu penses que c’est moi qui dois prendre ton pied ? », lui demande-t-elle. Enfin, elle boutonne la barboteuse et prend les chaussons. Tomi lève très haut ses deux pieds, la nurse lui met un chausson tout en lui expliquant ce qu’elle est en train de faire. L’autre chausson en main, elle s’arrête, demande à Tomi de lui donner son pied puis attend… Maintenant Tomi participe volontiers.

La nurse cherche sans cesse à inciter le bébé à prendre part aux soins : elle attire son attention sur ce qu’elle fait avec lui, attend patiemment que l’enfant s’en aperçoive et soit attentif au vêtement présenté, et c’est à ce moment-là qu’elle lui demande de faire le geste nécessaire. Lorsque l’enfant n’exécute pas le geste prévu, la nurse poursuit l’habillage, puis lui présente la petite tâche suivante. Son attitude, bien que conséquente, reste souple – ses demandes restant des propositions, sans devenir des exigences – car elle peut comprendre que l’enfant ne veuille pas profiter de la possibilité qui lui est offerte.

Cette attitude résulte de toute une formation que nous essayons d’offrir aux professionnelles de notre Institut Pikler.

 

Photo by Michal Bar Haim on Unsplash

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