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Dans cette rubrique des mères, pères, grands-parents, témoignent de leurs parcours dans cette aventure autour de bébé. Ces "Paroles de Parents" sont récoltées et coordonnées par Régine Prieur.
03 mars 2022
Audrey
Temps de lecture :

20e jour de détention confinement. Enfin, je crois. Je ne suis plus très sûre de la date. Les jours se suivent et ne se ressemblent pas se ressemblent ! Le temps s’écoule plus lentement. Plus calmement parfois aussi. Moins de stress, moins la course, moins l’œil sur la montre. Tout semble suspendu. Il y a une espèce de torpeur, même. Comme un petit goût de vacances, malgré tout.

En revanche, je me rappelle très bien de mon identité. Je suis « Mamaaaaaaaaaaaaaaan !!!!! » Je le sais parce que mes codétenus enfants m’appellent 6 215 fois par jour. Chacun. Docteur Non a 2 ans et demi, M. Tête-de-Mule en a 4 et demi. Et je ne compte pas les 3 541 miaulements du chat qui voudrait vivre sur moi. Je vous fais un dessin ?

– Mamaaaaaaaaaaan, je veux un bonbon !

– Mon chéri, on ne mange pas de bonbon à 7h24 du matin.

– Siiiiiiiiii, je veux un bonbooooooooooooon !

– Non, on va prendre le petit déjeuner. Qu’est-ce que tu veux comme tartine ce matin ?

– Un bonbooooooooooooon.

– … (fatigue extrême).

– Mamaaaaaaaaaaaaan, j’ai soif !

– Tiens, voilà de l’eau.

– Nooooooon, je veux un jus… S’il te plaît, maman ! S’il te plaît, maman !

– D’accord, juste un peu de jus. Tiens.

– Merci. Ah non, pas celui-là. Celui-là, il est beurk.

– C’est celui que tu bois d’habitude. Et il n’y en a pas d’autre.

– Ben, j’en veux quand même un autre.

– Mamaaaaaaaaaaaaaaaaan, tu me relis ce livre, s’il te plaît ?

Nooooon, je ne peux plus le voir en peinture ton livre ! Mon petit chéri, je sais que tu adores ce livre et je suis d’accord avec toi, il est fantastique, mais on l’a déjà lu douze fois d’affilée aujourd’hui, et vingt-trois fois hier. J’ai vraiment besoin d’aller aux toilettes, maintenant.

– Naaaaaaaaaan, mamaaaaaaaan, s’il te plaîîîîîîîîîîîît, encooooooore !

Mamaaaaaaaaaaaaaan, j’ai faim.

Mamaaaaaaaaaaaaaaaaaaan, encore un dessin animé ?

Mamaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaan, je veux ce jeu maintenant, celui que tu viens de me donner, il est nul.

Mamaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaan, je ne veux pas dormir !

Mamaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaan, il m’a poussé/tapé/mordu/embêté !

La belle-sœur de la voisine de ma cousine au troisième degré m’avait dit Dans un ouvrage très sérieux sur l’éducation des enfants, j’avais lu qu’il fallait éviter que les adultes ne descendent en permanence dans le monde des enfants, mais que les enfants devaient aussi apprendre à monter dans le monde des adultes. Je crois que je n’avais que vaguement saisi le concept. Aujourd’hui, avec le confinement, ça prend tout son sens : la quasi-totalité de mes journées est tournée vers mes enfants. Dès le lever, j’enfile mes palmes et mon tuba et je descends dans leur monde. Les nourrir (et ramasser derrière eux), (tenter de) les faire se laver, les cajoler, les faire habiller (en moins de 30 minutes chacun les bons jours), les amuser, les câliner, jouer avec eux (vingt-cinq parties de cache-cache dans un appartement, ça peut être long), leur lire des livres (ou un seul, mais vingt-trois fois), jouer à des histoires de chevaliers ou de sorcières, faire des activités ensemble (sans qu’ils s’ennuient au bout de 5 minutes ou que l’un plante ces ciseaux dans l’œil de l’autre), les embrasser, fondre d’amour en les observant, les gronder, faire le médiateur dans les disputes (je n’aurais pas pu être juge d’instruction…), leur faire écouter de la musique, danser, rire, éviter la prochaine bêtise (tout en nettoyant la dernière en date), admirer leurs sourires, boire leurs rires…, en intercalant tout ce qu’il y a à faire dans une maison.

La vie de famille, quoi.

Honnêtement, sur cette question, le confinement n’y est pour rien. Une sollicitation par minute, ça, c’est déjà mon sacerdoce quotidien. Sauf que, d’habitude, j’ai un boulot, des activités sportives, des loisirs, des discussions d’adultes, des temps off, qui me permettent de recharger les batteries en remontant dans le monde des adultes.

Oui, je crois que c’est ça, la différence : le temps de cerveau disponible.

Privée d’une bonne partie du monde des adultes, privée de la possibilité de sortir avant de céder à la tentation de tranformer un de mes enfants en nem prendre l’air pour réfléchir au sens de la vie, je me sens coincée dans le monde des enfants, sans la possibilité de remonter à la surface prendre ma respiration. J’ai la tête comme une cocotte-minute et mon cerveau n’a pas la disponibilité nécessaire pour répondre à toutes ces sollicitations. Résultat : j’ai l’impression de perdre un an d’âge mental par jour qui passe, et d’avoir moins de patience que mon petit dernier.

Du coup, sport national chez moi : la culpabilisation ! Je ne cesse de lire et d’entendre qu’il faut profiter de ce moment inédit pour passer du temps avec ses enfants, que la vie est courte, qu’ils grandissent trop vite, qu’on regrettera leur petite enfance blablabla et gnagnagna et gnagnagna. J’ai très envie de jouer avec eux, de faire des activités manuelles avec eux, c’est ce qu’on fait habituellement le week-end ou pendant les vacances. Mais là, en même temps, au bout de trois semaines sans sortir je ne peux plus saquer un Playmobil et j’ai envie de balancer leurs petites voitures par le vide-ordures, je me lasse très vite de leurs jeux parce que j’ai vraiment trop besoin de faire autre chose que le terrible quatuor enfants/ménage/bouffe/linge. J’oscille entre « Allez, va jouer avec eux, ça va être super » et « Punaise, je suis capable de prendre le premier avion vers n’importe quelle direction pourvu qu’on me laisse tranquille ! »

Alors, entre sauvegarder ma santé mentale et rentrer dans la dernière petite robe que je me suis achetée pour-quand-j’aurai-maigri, j’avoue, je craque et je pioche allègrement dans le paquet de M&M’s. Il y a des priorités sanitaires, tout de même !

Vous avez déjà remarqué que, sur le compte en banque de la patience, le débit était toujours beaucoup plus rapide que le crédit ? Un « Mamaaaaaaaaaaaan, tu sens tellement bon », même avec des yeux de cocker malade, ça ne suffit généralement pas à compenser l’intégralité des boîtes de jeux de société qui ont été ouvertes, répandues sur le sol et mélangées. Oui, ils ont fait ça. Il a fallu beaucoup de self control M&M’s.

À la fin de la deuxième semaine, le poids de la promiscuité m’a donné subitement envie de m’auto-confiner seule à la cave (en plus, c’est là qu’est stockée la réserve de M&M’s). J’ai découvert avec surprise à quel point j’avais besoin de calme et de solitude régulièrement pour arrêter de hurler comme une vache à la moindre virgule pour me ressourcer et faire baisser la tension.

Un soir de craquage, j’ai fait comme tout le monde : j’ai envoyé un message télépathique à mon guide spirituel j’ai tapé sur Google « comment arrêter de crier sur ses enfants ». Je suis tombée sur une vidéo qui parlait de la colère qu’on pouvait ressentir face à nos enfants. En résumé, cette colère ne serait pas due à ce que fait ou ne fait pas l’enfant. Elle naîtrait de ce que cela nous fait, en dedans, de ne pas être écouté(e) dans notre demande ou notre besoin. La vidéo expliquait également que l’enfant, la plupart du temps, ne fait pas exprès de ne pas répondre à la doléance du parent, et qu’il est souvent tout simplement dans son monde et dans sa temporalité. Mouais, admettons. C’était super intéressant ! Parce que, quand même, je les aime trop pour les vendre sur Le bon coin. Cette vidéo m’a donné envie de faire l’effort d’y réfléchir avec un exemple concret : lorsque je demande à mon aîné de mettre ses chaussures, il faut en moyenne 20 minutes et 253 sommations. Généralement, je suis à 25 de tension et 1462 décibels passablement agacée après la troisième requête. Et effectivement, ce qui me met hors de moi, c’est d’abord d’avoir l’impression qu’il se moque de ce que je dis comme de sa première cuillère de compote, et ensuite, de perdre tout ce temps à attendre qu’il daigne enfin les enfiler.

Aujourd’hui, je suis rassurée d’avoir trouvé deux pistes à suivre pour espérer survivre au reste du confinement, qui devraient amener du calme et de la coopération chez moi.

Un : proposer plus souvent à mes enfants de monter dans mon monde. Soit en participant à ce que je fais, soit en leur faisant comprendre que j’ai besoin de temps d’adulte et/ou de temps pour moi.

Deux : essayer de dompter ma colère en tentant de comprendre sur quel bouton ça appuie chez moi. Mon but étant de formuler des demandes plus précises, qui auront peut-être plus de chances d’être entendues. Personne n’a plus d’espoir que le parent qui escompte être entendu dès la première demande.

Finalement, cette expérience inédite de confinement aura quand même eu quelques vertus. Mes enfants se disputaient beaucoup beaucoup beaucoup les premiers jours, ce n’est plus le cas ; ils se disputent juste beaucoup beaucoup. On dirait qu’ils se sont rapprochés et qu’ils ont développé plus de coopération. Si, si, j’vous jure ! De mon côté, c’est un véritable exercice de développement personnel. J’apprends à mieux me connaître, à mieux m’écouter, à mieux me faire entendre.

M’enfin, je vais pas vous faire la happy end à l’américaine, va falloir que ça se finisse pour éviter l’anthropophagie. Cependant, malgré ces effets positifs, nous serons tous heureux de retrouver notre quotidien dès que possible !

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