J’ai 40 ans et subi une réduction mammaire à 20 ans. J’ai toujours pensé que je ne pourrais pas allaiter – vague souvenir du chirurgien le mentionnant, à l’époque. Mais alors, je ne pensais pas à la maternité, plutôt à ma silhouette, qui allait changer grâce à une intervention médicale justifiée par une déformation de la colonne.
Cette opération a effectivement très certainement changé ma vie. Malgré une cicatrisation longue et difficile, et des cicatrices visibles à vie, je me suis très vite sentie mieux dans ma peau. C’était sans compter le désir profond qui est apparu bien plus tard, pendant ma grossesse : allaiter mon enfant.
Alors que je me prépare à la maternité, je décide de regarder de plus près mon bilan post-opératoire : je n’y vois aucune information concernant la section de canaux galactogènes qui pourraient compromettre l’allaitement, ou autre élément important. Je lis sur le site de La Leche League qu’il est possible d’allaiter après une opération mammaire, mais que cela dépend du type d’opération, de la quantité de chair extraite, de la reformation de canaux galactogènes ou non selon le nombre d’années écoulées, etc. Je décide alors de recontacter le chirurgien qui m’avait opérée : ce dernier m’écrit que « l’allaitement est tout à fait possible », sans plus de détails. Bref, impossible de savoir. Mais l’espoir naît en moi d’allaiter, même partiellement. Je me prépare donc du mieux possible, je lis, je consulte une sage-femme spécialiste de l’allaitement, je prépare les tisanes et autres suppléments galactogènes.
Le jour J arrive, me voici avec mon bébé dans les bras, heureuse mais déboussolée, fatiguée… et mon bébé ne tète pas.
À la maternité, je consacre ce qu’il me reste d’énergie après l’accouchement pour tenter de démarrer un allaitement – je sais que les premiers jours sont déterminants. Bébé ne prend toujours pas le sein ou très peu, et je ne semble pas produire de lait malgré quelques gouttes de colostrum. Au 3e jour, il faut se rendre à l’évidence : je vais devoir donner des biberons à mon bébé. Je commence à pleurer. Je sens que c’est un combat difficile.
Je pleure de plus en plus, un baby blues aussi inattendu et surprenant que difficile à vivre. Je devrais ressentir la plus grande joie de ma vie, j’ai enfin eu un enfant et c’est l’amour de ma vie ! Mais cette joie est teintée d’un mélange d’angoisse et de tristesse intense, auquel je tente de trouver des raisons autres que la chute des hormones de grossesse. L’une de ces raisons est sans nul doute l’allaitement. Je culpabilise d’être aussi sensible à cela – tout va bien, mon bébé prendra des biberons, ce n’est pas le premier ni le dernier, et je devrais me concentrer sur mon nouveau bonheur. Mais j’ai du mal à accepter ce que je considère malgré moi comme un échec. Mon désir d’allaiter est viscéral. Je le ressens dans mes tripes. Et je sens qu’il va me falloir faire un travail psychologique sur l’acceptation de cette ancienne opération mammaire, de ses conséquences, de douleurs enfouies…
Entre deux pleurs, je continue de parler de ce manque et réalise qu’allaiter, c’est à la fois donner le sein et produire du lait pour nourrir son enfant. Je décide rapidement de séparer les deux éléments: mon bébé ne prend pas le sein, et je ne produis pas de lait. Y a-t-il une possibilité de remédier au moins à l’un de ces deux problèmes ?
Lorsque j’avais 6 ou 7 ans, je me souviens qu’un dentiste m’avait coupé le frein de la langue. Je suis quasiment certaine que cela empêche aussi mon fils de bien prendre le sein. Mais à la maternité, on ne semble pas s’en préoccuper. J’essaie par ailleurs les bouts de sein ; peut-être est-ce la forme des mamelons qui est en cause ? Mais non, rien à faire, cela ne fonctionne pas.
Côté production de lait, je garde espoir grâce à ma sage-femme, qui m’encourage, me rassure, et me conseille la stimulation avec un tire-lait, autant que je peux. Peut-être vais-je tout de même produire quelques dizaines de millilitres ? Au bout d’une semaine, je stagne à 1 ml, que j’exprime manuellement tant bien que mal, goutte par goutte. Et il y a tellement de choses à faire, je suis si déphasée, l’arrivée de bébé a un retentissement psychologique tellement plus important que je ne l’imaginais, que je n’arrive pas à utiliser le tire-lait autant que je le devrais.
À 15 jours post-partum, me voyant très sensible, émotive et fatiguée, ma sage-femme m’aide à me concentrer sur le deuil de l’allaitement, ce que je ressens finalement comme un soulagement. Je lui parle tout de même du frein de langue, elle me confirme qu’il y en a un et me donne l’adresse d’un orl.
J’obtiens par ailleurs quelques contacts supplémentaires, et tombe de fil en aiguille sur le site de Charlotte Yonge [1]. Cette maman s’est spécialisée dans l’allaitement postchirurgie mammaire. Je lui écris, et elle m’encourage à utiliser un dispositif d’aide à l’allaitement (dal) qui permet au bébé de boire au sein du lait industriel (ou maternel) via une sonde. Je laisse un peu cette idée de côté, cela me semble compliqué, et bébé ne prend pas le sein de toute façon.
Mon fils a 1 mois lorsque j’ai rendez-vous pour couper son frein de langue ; il n’a pas tété depuis sa naissance, et je ne produis au mieux que 3 ml de lait à chaque expression manuelle, que je lui donne dans une seringue et au petit doigt. Je demande à ma sage-femme de m’assister dans la mise en place d’un dal fait maison dès le lendemain. Nous le fabriquons à l’aide d’un vieux biberon et d’une sonde pédiatrique.
En quelques secondes, avec un peu d’aide, bébé tète et boit au sein ! Ma joie est immense. Quelle émotion intense, quel lien si fort… La sage-femme me dit qu’il est rare qu’un bébé qui n’a pas tété depuis sa naissance retrouve cet instinct un mois plus tard, c’est presque un petit miracle… J’en suis d’autant plus émue.
Au bout de trois jours, plus besoin d’aider bébé, il ouvre la bouche pour téter le sein, même en dehors des biberons ; il tète pour son bien-être, pour s’endormir, pour être proche de moi. Et qui sait, peut-être vais-je même produire un peu plus de lait, maintenant que mon bébé tète ?
Mais les semaines passent et je ne produis pas davantage de lait. Cela reste un manque, presque une blessure…, mais qui est heureusement compensée par la joie de pouvoir donner le sein. J’utilise le dal en journée, et garde les biberons la nuit, car bébé passe du sein au biberon sans souci, et son papa peut ainsi prendre le relais.
À son 4e mois, bébé bouge beaucoup, attrape la sonde, et utiliser le dal devient fastidieux. Je décide de revenir aux biberons exclusivement, mais conserve le bonheur des tétées confort, et d’endormir mon bébé au sein pour les siestes et la nuit. Il va bientôt falloir que je lui apprenne à s’endormir sans le sein, mais je ne suis pas encore totalement prête à renoncer à ces moments privilégiés avec lui…
Je n’aurais jamais imaginé qu’avoir son enfant au sein et le nourrir du lait que l’on produit puisse être un besoin si profond, physiologique, presque primitif, pour ne pas dire naturel (même si certaines femmes ne le ressentent pas). Si vous projetez de subir une intervention mammaire qui ne soit pas une absolue nécessité médicale, réfléchissez-y à deux fois, étudiez bien les conséquences possibles, à court et long terme, car c’est un geste irréversible. La poitrine d’une femme a une utilité pendant la maternité, pour votre bébé comme pour votre bien-être. Par ailleurs, le lait maternel reste le meilleur lait à lui donner, ce n’est plus à prouver. Et si vous avez déjà subi une chirurgie, et que vous souhaitez allaiter, sachez qu’il existe des moyens pour stimuler la lactation, et je ne peux que recommander l’utilisation d’un dispositif d’aide à la lactation pour faire boire votre enfant au sein. Parlez-en avant votre accouchement ! La joie et l’apaisement que je ressens avec mon enfant au sein, même sans lait maternel, restent pour moi une expérience unique, que j’aurais été triste de ne pas connaître.
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