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Dans cette rubrique des mères, pères, grands-parents, témoignent de leurs parcours dans cette aventure autour de bébé. Ces "Paroles de Parents" sont récoltées et coordonnées par Régine Prieur.
24 févr. 2022
Marylin
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La cour de la maternité transpire encore d’une averse d’été. Dans le silence quasi religieux de cette nuit qui commence, bruissent des chuchotements nerveux et des éclats de rires contenus ; agglomérés comme un seul corps, le père, la mère et les sœurs de la future mère trépignent d’impatience. Nous, le père et la mère du futur père, n’avons pas été conviés mais, dans l’ignorance où on nous a laissés depuis la veille, n’y tenant plus, nous sommes venus. Pourtant, dans cette attente fébrile un malaise naît en moi, la belle-mère, un doute sur la légitimité de notre présence ici, à cette heure particulière. Un doute que ne semble pas partager la famille maternelle, aussi je peine à comprendre et à dissimuler mon malaise. Mais rien à voir avec l’accouchement, qui se déroule plutôt bien.

Quand mon fils apparaît, hirsute sous la lumière crue du hall, tel un joueur vaincu harassé par vingt-quatre heures d’enfermement, mon cœur se serre : je l’imagine seul et perdu et je revois le petit garçon inquiet. Je voudrais foncer vers lui, le prendre dans mes bras comme je l’aurais fait vingt ans plus tôt, mais quelque chose me dit que je dois attendre et retenir cet élan ; en nous apercevant, nous, ses parents, son regard s’éclaire et je comprends que notre présence était un bon choix.

Quelques nouvelles, l’enfant va naître, une cigarette, puis il retourne un peu requinqué en salle d’accouchement.

Une heure plus tard, il sanglote dans nos bras parce qu’une petite fille est née, sa fille :

– Moon ! annonce-t-il crânement, prêt à la riposte.

Moon ? Moon !… C’est beau ! C’est beau !

Le grand-père paternel a approuvé et le jeune père s’est alors illuminé d’un immense sourire, et tout son corps s’est enfin détendu.

J’ai susurré comme un bonbon ce prénom impensable que nous aurions à dire des milliers de fois, à la saveur douce et sucrée, décuplée par la révélation de me découvrir grand-mère d’une petite fille ; quelque chose se déployait en moi à la perspective de cette relation féminine, bien au-delà de ce que j’avais pu imaginer. Et la découverte de sa bouille lunaire, rose et absolument ravissante, m’a émue jusqu’au vertige. Aussitôt je l’ai adorée, et bien qu’elle ne fût pas de moi, elle fut des miens sans réserve. Le liant génétique de notre famille transparaissait confusément mais assurément dans ce nouveau visage, et je fus submergée de gratitude et de fierté à l’égard de ce si joli petit être qui me faisait grand-mère.

À 54 ans, neuf mois plus tôt, alors que rien ne m’y préparait, l’annonce de cette grossesse m’avait littéralement coupé le souffle et les jambes, un shoot émotionnel d’une rare intensité, de sentiments mêlés de joie mais aussi d’inquiétude quant au devenir de mon fils, du jeune couple, de cette future parentalité, pour autant contredite par leurs visages lumineux de bonheur. Ce statut de future « mamie » ne me posa aucun état d’âme, j’y adhérai immédiatement : ce n’était ni la fin de la femme ni celle de la mère, je ne perdais rien, mieux, je m’enrichissais. J’avais dû m’y préparer inconsciemment passé le choc de la ménopause, sans doute pour trouver quelques avantages à ce traumatisme et à celui de la maladie nouvelle de mon mari ; la vie sous la forme d’un bébé a toujours représenté pour moi un puissant antidote aux grands chagrins. Ainsi, ce bébé à venir fut instantanément agrégé à notre famille, avec l’impérieuse nécessité de sa protection et d’un amour inconditionnel.

Sept mois pour préparer sa place lorsqu’il viendrait chez nous : un coin décoré et aménagé de choses mignonnes, un lit neuf, un lieu calme, clair et personnel dédié à son repos, le tout aménagé par nous. Les grands-parents aussi peuvent attendre leurs petits-enfants.

Le lien qui se tissa ensuite entre Moon et nous, entre Moon et moi, fut à la hauteur de mes espérances ; si la loterie génétique la fit ressembler à son père, les avis s’accordèrent pour m’y retrouver plus encore. Qu’elle me ressemblât me flattait bien sûr, mais m’intriguait davantage : la contemplation de son visage, de sa manière d’être, me confrontait sans cesse à la certitude de l’avoir déjà rencontrée, ses regards vers moi m’étant profondément familiers. Je devais donc me méfier de cette troublante ressemblance, des émotions et des fantasmes qu’elle générait en moi et qui pouvaient s’avérer nuisibles à tous, et me ramener encore dangereusement à mes blessures profondes ; car la vie s’entête obstinément à vouloir réparer le passé. Pour rien au monde je ne voulais m’immiscer, m’insinuer dans la parentalité du jeune couple, comme cela fut le cas entre mon couple et ma belle-famille, douloureusement. Il n’y a pas à disputer cette prééminence aux parents, elle est de fait et doit mener à un respect mutuel. Mais dans les bouleversements qu’amène une naissance, cela s’avère bien souvent difficile. Trouver une bonne place n’étant déjà pas aisé aux grands-parents, je prévoyais que celle de grand-mère paternelle irait encore moins de soi, car j’avais bien compris les raisons de mon anxiété le jour de la naissance de Moon : face à cette nombreuse famille maternelle, empreinte de culture sud-américaine, si puissante et si soudée, à l’autre mère/grand-mère si respectée, qu’aurai-je à apporter, à transmettre à Moon d’aussi fort qui la lierait à notre famille si fondamentalement ?

Malheureusement, j’avais senti juste, car malgré toute ma bonne volonté, les accrochages et les tensions avec séjours écourtés intempestivement furent fréquents les deux premières années et me mettaient au supplice, car je mesurais notre impuissance à la puissance parentale : en quelques minutes la maison vidée, la voiture chargée, notre petit cœur emporté avec à peine un baiser – volé… Je découvrais avec terreur qu’à tout moment notre petite-fille pouvait nous être refusée et cela pour un délai incertain, à cause d’un détail insignifiant à nos yeux, de savoir-faire ou d’habitus familiaux soudainement contestés voire dénigrés. C’est là que les grands-parents peuvent alors se transformer en bêtes de cirque obtempérant à tous les besoins, à toutes les lubies des jeunes parents. Un lourd prix à payer par crainte de perdre leurs petits-enfants.

Mais c’était sans compter sur Moon qui, à 18 mois, exprimait déjà clairement ses besoins et ses désirs ; son tempérament pressenti très tôt ne se démentit pas au fil des ans, une force tranquille et affirmée dotée d’un haut pouvoir de séduction et de persuasion. Elle a donc pleinement confirmé les places et les rôles de son entourage et tout est rentré dans son ordre juste, car Moon n’oublie personne. La nature et son environnement l’ont gratifiée d’une aptitude au langage et à la communication doublée d’un bon sens de l’humour, d’une curiosité énergisante, d’une pugnacité et d’une gaieté rares, mais surtout d’une empathie et d’un grand sens de l’équité. Un très bon départ. Un tel tempérament ouvre toutes les portes à la vie et à toutes les fantaisies, et déjà, en trois ans, mille choses simples, divertissantes, intéressantes ou farfelues ont été faites, dites ou racontées ensemble avec une immense tendresse, avec beaucoup d’amour. Car Moon m’a permis d’exprimer certains « moi » frustrés, de me révéler d’une patience inaltérable, d’une douceur enfouie. Moon, c’est la découverte d’un nouvel amour, un des plus grands de ma vie.

Mais l’autre découverte aura aussi été la possibilité de l’absence des petits-enfants, dans un éloignement raisonnable, sans douleur : là où la mère aurait souffert, la grand-mère, bien que retardant le départ par une avalanche de baisers et de câlins, ne le redoute pas quand elle sait l’enfant sécurisé et aimé de ses parents. Sur le seuil de la maison et jusqu’aux derniers regards, on s’envoie des baisers souriants assurées des prochaines retrouvailles.

Et la maison désertée, il faut être honnête, est aussi un instant savoureux où le silence et l’ordre se réinstallent, où les grands-parents peuvent enfin retrouver leur couple originel régénéré par la fraîcheur de cet amour profond mais léger, apaisé par une telle descendance, une telle continuité. Une belle récompense.

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